lundi 18 juillet 2011

Lettre à mes amis de l’association musicale Ibn Badja de Mostaganem


         Mes chers amis de l’association musicale Ibn Badja,


Vous venez de poster un court-métrage sur Youtube. Je l’ai regardé sans interruption, en cinquante-deux minutes palliatives à des courts métrages que la télévision algérienne manque bien de produire. Un film comme celui que vous avez réalisé avec des moyens d’amateurs, en tant qu’amateurs passionnés, aurait très bien pu être produit par ladite télévision qui, comme vous le savez, ne se déplace que lorsque les autorités sont là, mettant une logistique censée être populaire au service du carriérisme.

Je me suis réjoui que votre voyage à Constantine ait été si agréablement vécu, la joie de vivre des membres de l’association y étant visiblement pour quelque chose. Pour vous, il a du être une énième occasion, même non guettée, de mettre à l’épreuve la fraternité qui règne entre vos membres, montrant leur appartenance à une famille plus qu’à une association régie par des décrets. Pour nous, votre venue a été l’occasion de constater, de visu, qu’une association de musique andalouse est beaucoup plus qu’un orchestre qui aligne des pièces et des rythmes et qu’elle est un lieu d’ascèse lyrique vers la citadinité, si intimement liée à notre cher al-Andalus et si abandonnée par notre école publique. Je ne vous en félicite pas en mon nom mais au nom de toute l’Algérie et du Maghreb dont la musicalité transcende les frontières et fait fi des conflits.

Depuis 2007, année de la première édition du Festival Culturel National du Malouf de Constantine et où j’ai été membre du jury, j’ai été contre le fait de mettre sur le même pied d’égalité les associations musicales et les orchestres professionnels. Comme j’ai été contre le fait d’obliger les praticiens de la sanâa ou du gharnati à concourir avec un programme puisé dans le répertoire malouf.

Pour jouer la musique de l’autre, fut-il ami ou frère, il suffit d’écouter et de reproduire, pour ne faire appel qu’au traditionnel mode oral de transmission. Pour jouer la musique traditionnelle de l’autre et embarquer dessus les auditeurs, vers le voyage tant dit par poètes et musiciens, il faut être imprégné de l’ambiance de la ville d’où vient cette musique. Ce que ne saurait permettre aucun festival. Par son entêtement, le gouvernement semble dire qu’il se dirige vers la privatisation de ce genre de manifestations. C’est une erreur monumentale. La musique andalouse ne s’épanouit que dans le nécessaire cocon de la prise en charge, par Etat et/ou mécènes, comme ne se développe bien un enfant que dans le ventre rassurant et bienveillant de sa mère.

Plus techniquement, j’ai remarqué, sur le court-métrage, que vos violonistes tenaient leurs instruments en calant la caisse entre les cuisses, comme le font actuellement les constantinois. Tout en vous sachant seuls aptes à décider des positions à adopter, je me permets d’attirer votre attention sur les trois points suivants.

Primo : La façon de tenir son instrument fait partie des spécificités de chaque Ecole de musique andalouse, voire de chaque style. J’aimerais que ceux qui écoutent chanter l’association Ibn Badja voient la tradition d’une ville d’obédience andalouse, donc nécessairement jalouse de ses gestes. La nostalgie l’autorise, la tradition l’impose.

Secundo : Le fait de caler la caisse du violon entre les cuisses réduit un peu de sa sonorité.

Tertio : Les anciens constantinois jouaient de violon ou de l’alto, dès son introduction dans l’orchestre traditionnel andalou, en le tenant sur une cuisse, comme le font actuellement les altistes des Ecoles de la sanâa et du gharnati. La technique de le caler, voire de le coincer, entre les cuisses est tardive et est due à Sylvain Ghrenassia, célèbre en tant qu’altiste dans l’orchestre de cheikh Raymond Leyris (1912-1961), qu’on voit sur la première photo (tout à fait à gauche). De fait, la position permet une certaine rapidité dans le jeu car elle dispense de pivoter continuellement l’alto sur son bouton. Regardez la position sur la deuxième photo : on y voit le violoniste de l’orchestre Bestandji-Bentobbal en 1912, tenant son instrument dans la position originelle. Le dernier constantinois à tenir l’alto de cette façon est cheikh Larbi Benlebdjaoui (1920- ), qu’on voit sur la troisième photo, jouant avec feu El Hadi Rahmani.






Vous êtes les représentants d’une tradition multiséculaire, demandant à être sauvegardée sans nécessairement être momifiée, forts de la présence, à vos côtés, d’un maître comme cheikh Moulay-Ahmed Benkrizi et de son émérite fils Fayçal Benkrizi, votre actuel chef d'orchestre. Pour cela, je n’attends pas moins de vous de continuer à œuvrer pour la sauvegarde de ce patrimoine, lui-même preuve que le raffinement des Algériens est encore possible après l’acculturation. Un raffinement prônant la tradition mais ne rejetant pas la modernité et prônant l’urbanité mais ne rejetant pas la mixité sociale.

Perpétuez, transmettez, éveillez et réveillez, conseillez et soyez vous-mêmes. On vous aime pour ça.


Hichem Zoheïr Achi


vendredi 8 juillet 2011

M’hammed Mosli



M’hammed Mosli (XIXe) était un musicien constantinois qui avait pour pseudonyme Cheqleb, parce qu’il avait une façon très spectaculaire de bouger le « tar » (tambourin). Son neveu, cheikh Omar Chenoufi (1897-1946) avait pour pseudonyme Cheqleb esseghir (le petit Cheqleb). Petit à petit, on a fini par parler de ce dernier en le désignant par le pseudonyme Cheqleb qui était originellement celui de son oncle maternel. M’hammed Mosli est le musicien qui aurait ramené les noubas aïssaoua de Constantine depuis la Tunisie. C’est ce que disent les aïssaoua de Constantine.

Ces noubas sont à ne pas confondre avec les noubas classiques du malouf et qui sont le répertoire de la âla (orchestre instrumental). Les différences entre les actuelles noubas aïssaoua de Tunisie et de Constantine donnent une idée de ce que peuvent causer défaillance de mémoire et triturations volontaires de pièces musicales. Alors, que dire d’un patrimoine classique (malouf) qui s’est transmis de bouche à oreille pendant des siècles ? Il est évident que ce nous écoutons aujourd’hui est relativement différent de ce qu’écoutaient nos aïeuls.

Les relations ont toujours été étroites entre Constantine et la Tunisie, en vertu des traditions d’échanges héritées des Hafsides (1228-1574), probablement. Au XIXe siècle, M’hammed Mosli et Nessim Boukebbous (1812-1900) ont été deux des musiciens les plus actifs dans ce transfert à double sens. La photo de M’hammed Mosli, postée avec ce billet, provient de la collection personnelle de Abdeslem Benbadis.


mercredi 6 juillet 2011

Ouverture sur fond d'improvisation



Des rumeurs circulent sur le ratage de l’ouverture de la 5ème édition du Festival Culturel National du Malouf de Constantine, le 4 du courant juillet. Un article publié dans l’édition on-line du quotidien algérien El-Watan, va dans ce sens.

Prévue pour 20h, l’ouverture a eu lieu avec 1 heure de retard et la climatisation ne fonctionnait pas ou était trop faible, ce qui a fait que le public était peu nombreux, préférant rater le concert que suffoquer.

Renseignement pris, il s’est avéré que l’hommage fait aux anciens moudjahidine, ce soir là, n’était pas prévu. Le wali est resté debout pendant un bon moment, aucune place n’avait été prévue pour qu’il rende hommage.

Pourquoi les anciens moudjahidine, à qui personne ne dénie le droit à l’hommage, ne sont-ils pas honorés le 5 juillet tout simplement ? Et s’ils devaient l’être à cette ouverture, pourquoi ne pas l’avoir prévu et programmé avant ?

De toutes les façons, cela aurait tout aussi bien pu être autre chose. Ce qui aurait été étonnant, c’est que la programmation soit mise en pratique exactement comme prévu. Mais ce n’est pas possible. Comme je le dis toujours :

دايما فرنك ناقص من مائة فرنك

Il manque toujours 1 centime des vingt centimes (20 cts. = 1 dinar)

A bon entendeur.



jeudi 30 juin 2011

Peut-on composer de nouvelles pièces pour la musique andalouse ?



L’actuel répertoire de la musique andalouse est comparable à une corbeille de fruits qui se vide à des allures variées mais qui n’est plus alimentée depuis longtemps. Au regard de ce fait unanimement admis, doit-on composer de nouvelles pièces ou alors se contenter de jouer celles que nous ont léguées les générations précédentes ?

La question n’est pas facile à trancher. Les vieux maîtres ont souvent composé. Cheikh Larbi Ben Sari de Tlemcen avait composé un hawzi après son grand pèlerinage à la Mecque, connu sou le titre de : Hanîna yâ hanînâyâ. Ce hawzi est chanté, de temps à autre, par les associations tlemceniennes de musique andalouse. Cheikh Abdelkrim Dali avait aussi composé un hawzi après son pèlerinage : Al Hamdu lillah nelt qasdi webleght m’naya mais il n’est repris par personne. Plus récemment, Cheikh Mohamed el Ghafour de Nedroma (Ouest algérien) a composé une chanson populaire sur la réconciliation nationale initiée par le président Bouteflika pour mettre fin à la guerre civile algérienne des années 1990. Cependant, aucune trace ni témoignage n’indique qu’ils aient « osé » le faire pour le répertoire classique, c’est-à-dire pour la nouba.

Ce qui pousse à être contre la composition

Le caractère quasi sacré du malouf (et du répertoire classique maghrébin dans son ensemble) et la sensation que les générations tardives ne sont pas à la hauteur de celles considérées comme références, font en sorte que l’ensemble que les vieux maîtres sont fermement opposés à la composition de pièces musicales nouvelles. C’est aussi le cas de la plupart des jeunes musiciens et mélomanes.

Ce qui pousse à être pour la composition

La déperdition continue, même si elle est heureusement moindre avec l’apparition de moyens d’enregistrement. Peu de temps avant qu’il ne décède, cheikh Abderrahmane Bencharif m’avait parlé de l’existence de 2 m’saddars en tab3 (mode mélodique) dheïl. Un mode rare, contrairement aux apparences. J’ai bien peu qu’ils ne soient définitivement perdus. Durant les dernières années de sa vie, cheikh Abdelkader Toumi Siaf m’a transmis bon nombre de mélodies, comme il l’a fait avec d’autres musiciens. Mais il n’était pas rare qu’il dise ne pas bien se souvenir de telle ou telle pièce que je voulais qu’il m’apprenne. Encore des pièces perdues et les anecdotes sont légion.

Mais, en considérant une pièce musicale comme une « chose » vivante, par la vie de son compositeur et par les vies de ceux qui l’ont chantée, le fait qu’elle meure en disparaissant n’est-il pas « normal » ? Des pièces naissent, d’autres meurent, certaines se transforment volontairement ou non et la vie est comme ça. Dans cette vision et en sens inverse, si des pièces meurent, il est naturel que d’autres naissent et c’est pour cela que je suis pour la composition.

Cependant, pour composer de nouvelles pièces, des précautions sont à prendre et des règles à fixer. Plus que le détail technique de ces règles et qui sera nécessairement discutable, se pose la question de savoir « qui » pour fixer et édicter ces règles. Dans la situation actuelle, la réponse est simple : personne. Parce que la musique andalouse ne dispose pas d’études théoriques suffisantes pour pouvoir fixer ces règles et cela se remarque dans les colloques et congrès où il est extrêmement rare d’entendre parler de détails techniques de cette précision. Puis parce que cette musique ne dispose pas d’une instance cléricale, ne serait-ce que dans la perception des praticiens et acteurs, susceptible d’arbitrer. Peut-être est-ce mieux comme ça, je ne sais pas encore.

Pour les modes mélodiques, qui sont mon domaine de prédilection, cheikh Abdelkader Toumi Siaf me disait que « la route est coupée », voulant dire que le fil d’Ariane était perdu. Si je suis d’accord avec lui pour dire que les informations techniques ont été des oubliées de la transmission, je ne suis pas aussi fataliste pour dire que l’on n’y arrivera jamais. La musique andalouse porte en elle-même les explications à ses propres mystères et, depuis des années, je me suis attelé à la tâche en partant de l’analyse des pièces musicales en l’absence de sources écrites susceptibles d’expliquer lesdits mystères. Le résultat est plus qu’encourageant.

Sur la question des sources endogènes d’explication, c'est-à-dire le postulat selon lequel la musique andalouse porte en elle les explications recherchées, je suis tombé d’accord avec Nadir Maarouf, en marge du colloque de Tlemcen de juin 2011. Sur la question du mythe du manuscrit miracle qui expliquerait tout, je suis tombé d’accord avec le musicien et journaliste Abdelhakim Meziani mais en désaccord avec Manuela Cortès Garcia, spécialisée dans les manuscrits relatifs à la musique andalouse. J’aurais aimé échanger de la question avec Dwight Reynolds mais l’emploi du temps ne l’a pas permis. Je ne dis pas qu’il ne faut plus chercher de manuscrits ou de jeter aux oubliettes ceux qui existent. Je dis que les manuscrits actuellement disponibles et ceux qu’on découvrira (j’espère) donneront peut-être des indications plus ou moins exploitables mais ne lèveront pas le voile sur tout ce qui est, pour le moment, inexpliqué.

Il ne faut pas penser que les « études » anciennes avaient la forme actuelle, dans sa formalisation universitaire ou para universitaire. En l’absence de méthodes (pas de méthodologie) propres à l’étude de la musique andalouse, on se conforme aux méthodes occidentales, elles-mêmes multiples. Ces dernières comportent des éléments évidemment applicables à la musique andalouse mais, dans l’ensemble, elles ont été conçues pour étudier la musique médiévale ou celle dite universelle. En se basant sur les manuscrits connus et presque toujours traitant de sujets divers, les descriptifs techniques étaient rares et se faisaient sous forme de paragraphes qui décrivaient l’esthétique de la musique de telle chanteuse ou de tel chanteur. La description elle-même étant subjective, eu regard à ce qui retenu l’attention du descripteur. Rien ne permet de dire si les anciens, en al-Andalus ou au Maghreb, transcrivaient la musique par un quelconque système. On peut penser aux tablatures mais je doute que celles-ci, si elles existent pour la musique andalouse, puissent être suffisamment précises pour indiquer quelque chose de plus que les positions successives des doigts pour une mélodie de base. Une tablature pourrait difficilement indiquer la nuance entre un MI (juste pour donner un exemple) et un MI diminué. Sans oublier que ladite diminution est variable en fonction de quantité de données. On voit bien que la perspective n’est probablement qu’un faux espoir.

Dans l’expérience de l’Orchestre Régional de Constantine (ORC), qui, depuis quelques années, mélange pièces anciennes et nouvelles, il est question de la touche personnelle de Samir Boukredera, chef d’orchestre et compositeur. Son attirance est connue pour la musique orientale et pour des chanteurs comme le Syrien Sabah Fakhri. D’ailleurs, il argue volontiers que la musique orientale est à l’origine de l’embellissement des pièces du répertoire malouf constantinois et cite l’exemple de la touche de cheikh Mohamed Tahar Fergani. Cette touche orientale évidente s’écoute surtout dans les pièces instrumentales que Boukredera a composées : bashraf, toushia, toushiat el kamâl, koursi, et elle rappelle plus l’Orient persan que l’Orient arabe. Ses pièces rythmées et chantées, elles, rappellent le répertoire malouf de Constantine et je reconnais qu’un non averti ne pourrait pas les différencier des anciennes. Nombre entier de mesures complètes pour chaque vers et mélodies rappelant les airs des pièces anciennes. Pour ces nouvelles pièces chantées, un bravo et trois remarques.

Primo : Les textes choisis pour les pièces nouvellement mises en musique sont le plus souvent déjà chantés dans d’autres modes mélodiques et avec d’autres rythmes. C’est le cas de fâh el banafsadj mis en musique en tant que m’saddar de mesure 16/8 en tab3 saïka et présenté au public de Tlemcen le 13 juin passé. Les connaisseurs savent que ce poème est chanté dans le malouf en tant m’saddar en tab3 raml el mâya. Pourtant, les muwashshsahs et les zadjals susceptibles d’être mis en musique ne manquent pas. Je crois qu’il a besoin d’un spécialiste de la question pour mieux choisir ses textes à l’avenir et cela ne devrait pas poser difficulté.

Secundo : Pourquoi exécuter le dardj de mesure 5/8 Matâ yadjoud en tab3 saïka ? Cette pièce est la dénaturation d’un ensrâf de mesure 6/8. D’autres pièces ont bel et bien été composées, alors, pourquoi pas un nouveau dardj de mesure 5/8 ?

Tertio : L’utilisation, sur scène, de feuillets mémorandums de textes est un point négatif. D’abord par rapport à la polémique en cours et en sachant que les chanteurs anciens considéraient comme faiblesse, voire comme disqualification, le fait de ne pas apprendre par cœur les textes chantés. Puis, parce qu’on chante mieux un texte en l’ayant appris. On peut alors oublier de jeter un œil ou de d’arrêter de jouer pour changer de feuillet et se concentrer sur le chant et sur le sentiment induit par l’ensemble des données conjoncturelles, comme le tempérament ou l’ambiance ressentie du lieu du spectacle.

Le plus consternant dans l’attitude des adversaires de la composition, dont je respecte l’avis, c’est qu’ils s’accommodent d’initiatives qui dénaturent la musique andalouse. L’introduction des instruments fixes, comme la mandoline, la guitare ou le piano acoustique, n’a choqué personne alors que ces instruments ne permettent pas d’exécuter correctement les gammes des modes mélodiques de la musique andalouse. Les musiciens qui en jouent sont obligés de « tricher » en jouant la note la plus proche et habituent les oreilles à des airs et, donc, à des tempéraments modaux travestis.

Tout évolue dans la vie. Les pièces musicales que nous jouons aujourd’hui sont, à coup sûr, différentes de ce qu’entendaient nos aïeuls. Plus saisissant, en considérant que toute pièce musicale a été composée à une date ou à une autre, que nous serait-il parvenu de cette musique si personne n’avait accepté les pièces nouvelles avant de les apprendre et de les transmettre ? Ces mêmes pièces qui ont été nouvelles à un moment de leur vie, constituent pour nous ce qui est ancien, traditionnel et classique.

Ne plus produire est annonciateur de déchéance et de mort. Ce n’est qu’une question de temps. Il est possible que les nouvelles compositions portent un nom autre que celui de malouf ou de musique andalouse et il est certain que la séparation entre pièces anciennes et nouvelles sera encore en vigueur pour un bon moment. En attendant le consensus ou l’unanimité, dans quelque sens que ce soit, essayons au moins de laisser libre court aux initiatives et de ne pas détruire systématiquement ce que construisent les autres sous prétexte que c’est nouveau ou différent.


mercredi 22 juin 2011

2 Grenade à Tlemcen


Sous l’intitulé « La poésie et la musique andalouse : l’Ecole de Tlemcen. La nûba : empreintes passées et perspectives d’avenir », le colloque qui a duré du 13 au 15 du courant juin a donné place à plus de quarante communications à l’intérêt et au sérieux variables. Le Centre National de Recherches Préhistoriques, Anthropologiques et Historiques (CNRPAH) s’enorgueillit de ne jamais refuser un communicant. Une erreur. Car, si je me réjouis qu’il y ait eu 10 nationalités et 4 continents représentés par les communicants, les conférences n’étaient pas toutes reliées au thème majeur du colloque. Pire, nous avons eu droit à la légende populaire de « il était une fois Ziryab … qui composa 24 noubas … », déclinée sous différents camouflages musicologiques.


Les nombres importants de communicants sont généralement prévus pour les symposiums. Là où on attend des participants qu’ils concluent par des recommandations majeures et des fixations d’échelles musicales ou d’autres concepts qui ont besoin de consensus.
Trop serré, l’emploi du temps n’a pas laissé suffisamment de place aux débats ni aux rencontres en marge, entre chercheurs. Les moments des repas l’ont un peu permis mais l’efficience est sujette aux hasards des attablements. Ce même emploi du temps n’a pas permis de visiter les hauts lieux de la ville. On dira que la rencontre n’était pas touristique. Oui, mais s’imprégner de l’ambiance d’une cité et de son Histoire, à travers son urbanisme et ses monuments, est infiniment instructif pour comprendre la pratique musicale de ses habitants.

L’emploi du temps n’a pas permis, non plus, de profiter de la Semaine Culturelle Espagnole qui s’est tenue en parallèle et au même Palais de la Culture d’Imama. Ne pas avoir rendu visite à la culture du pays où est née la musique dont nous avons parlé est une honte. Que les Espagnols nous pardonnent.

La couverture médiatique a été bonne pour l’audiovisuel. Pour la presse écrite, les comptes-rendus ont manqué de discernement. Attribution de communication à des chercheurs absents, etc. Quant aux textes intégraux des communications, le CNRPAH et l’Université de Tlemcen comptent les regrouper en actes. Certains participants ont regretté l’absence de chercheurs libyens et syriens. Je me joins à eux et je rajoute mes regrets pour l’absence de chercheurs italiens, égyptiens et autres. Un match de foot ne peut pas effacer des éléments culturels communs aussi solides que ceux relevant de la musique andalouse.

Pour revenir au consensus cité en début d’article, Nadir Maarouf s’est lancé dur ce terrain lors de la table ronde qu’il a modérée le dernier jour. Il a exprimé le vœu de fixer définitivement l’appellation de cette musique. Il faut rappeler que des tentatives ont eu lieu dans le passé, pour ce faire, et ont toutes réussi sur le moment et échoué plus tard, sur le terrain. Pour ma part, je ne vois pas l’utilité d’appeler cette musique par autre chose que « musique andalouse ». D’abord parce qu’elle est née en Europe. Les backgrounds et les substrats n’y changent rien et c’est en Andalousie qu’elle s’est cristallisée, nonobstant les évolutions qu’elle a connues par la suite. Puis, parce que cette appellation (musique andalouse) ne nie pas la participation de Maghrébins à sa formation, son évolution et sa transmission. C’est l’absence de référence au Maghreb dans l’appellation « musique andalouse » qui gène.

J’ai dit par le passé, et j’ai rappelé lors de ce colloque, qu’il n’y a rien de plus absurde que de vouloir s’accaparer cette musique comme patrimoine exclusif. La musique andalouse n’appartient à personne en particulier mais à tous ceux qui en prennent soin.

Ma communication a concerné les anomalies rythmiques dans le m’saddar constantinois. En effet, lors de la pratique de la musique andalouse dans l’Ecole de Constantine, des anomalies rythmiques perturbent régulièrement le déroulement rythmique de la nouba. Si certains d’entre eux sont relativement faciles à corriger, d’autres, par contre, posent un réel problème. D’autant que la musique andalouse ne peut souffrir de passer outre ces anomalies alors qu’elle est prétendue savante. Parmi ces anomalies, celles constatées lors de l’interprétation de certains m’saddars. De mesure 16/8 comme à Tlemcen, le m’saddar constantinois a la particularité de ne pas différencier entre rythme exécuté lors du chant et celui exécuté lors de la ritournelle. J’ai tenté d’apporter des réponses pour expliquer l’origine de ces anomalies, en remettant en cause la genèse admise de la formation des trois Ecoles algériennes et de leur différenciation. Il a été trop vite admis que, d’Est en Ouest, les trois Ecoles algériennes ont hérité des pratiques musicales de Séville, Cordoue et Grenade. A partir de ces questionnements, plusieurs scénarios ont être envisagés dans le but d’expliquer ces anomalies rythmiques et de déboucher sur un ressourcement dans l’exécution de la nouba constantinoise.

Les recherches sur la musique andalouse patinent. Les études sérieuses sont trop disparates et surtout peu confrontées les unes aux autres. Nous avons besoin de rencontres thématiques pour avancer sur des sujets préalablement délimités le plus exactement possible. Autour de la rythmique, de la prosodie, des modes mélodiques. Autour de l’enseignement pratique de la musique andalouse, au sein des associations et des écoles publiques. Autour de thèmes liés à l’artisanat et à l’économie, comme la lutherie.

Après la question de l’appellation de cette musique et le débat sur les avantages et les inconvénients de sa transcription, la vraie question est celle de savoir que faire de cette musique. Le désir de comprendre ce qui est encore musicologiquement obscur et de montrer au monde que le pays se porte bien en accueillant des étrangers, occidentaux compris, ne suffisent pas comme objectifs. De la réponse dépendront nos initiatives et nos actions dans le futur proche. C’est là la seule véritable façon de prendre soin du legs.

Bien sûr que des lacunes ont été remarquées et on s’y attendait, vu l’ampleur de l’évènement « Tlemcen, capitale culturelle du monde islamique 2011 » et le temps de préparation relativement court. Nonobstant,  la Cité aura eu le mérite de renouer avec son passé glorieux en ces temps là où les musulmans illuminaient le monde avant le siècle des lumières. C’était la période où les musulmans avaient compris que les sciences et les lettres ne peuvent pas s’épanouir dans le renfermement sur soi et dans le rejet systématique de tout ce qui est différent. Devant le nouveau Palais de la Culture de Tlemcen, l'alignement des drapeaux des pays musulmans faisait beau à voir. L’enfilade serait encore plus belle si elle comprenait des drapeaux d’autres pays méditerranéens à qui la musique andalouse nous associe et nous lie à jamais.


lundi 23 mai 2011

Cannes se termine et continue



Le Festival de Cannes vient de se terminer et la Palme d’Or a été attribuée à L’Arbre de la Vie (The Tree of Life) de Terrence Malick. Un réalisateur si discret que personne ne sait à quoi il ressemble. La seule photo disponible de lui date d’il y a une trentaine d’années. C’est le type à ne pas se faire fabriquer un press-book à partir de photos prises à la sauvette. La palme est pour les perfectionnistes et c’est pour cela qu’elle fabriquée par de perfectionnistes artisans genevois. On pourrait penser que la rareté de l’artiste est planifiée et qu’il fait semblant de fuir les feux de la rampe mais on aurait tort. Il n’a réalisé que cinq films en plus de 40 ans de carrière. De bons films.

Contredisant beaucoup de pronostics, Jean Dujardin a été sacré meilleur acteur pour sa prestation dans The Artist. Faisant le muet en noir et blanc au XXIe siècle, il ne pouvait que se démarquer, dans ce monde où les images et les couleurs défilent sans arrêt. Le noir et blanc est aussi l’allusion à nos rêves insouciants et peu colorés, pour oublier, le temps d’une séance, les soucis de la vie. La gestuelle princière et un peu désinvolte de Jean Dujardin rappelle celle de Jean-Paul Belmondo en moins agité. J’ai vu la quasi-totalité des films de Belmondo dans le passé mais que je ne l’accroche toujours pas tellement. On se demandera pourquoi l’avoir vu, alors. L’unique chaîne télé algérienne (à l’époque) ne l’explique pas à elle seule. L’adolescence s’accompagne de recherche de héros et c’est un peu comme ça que je le voyais. Je reviens à Dujardin. Révélé par la série télévisée Un gars, une fille, aux côtés d’une Alexandra Lamy bougonne à croquer, il a été confirmé dans Brice de Nice. Le Caire nid d’espions et Rio ne répond plus, eux, sont deux films qui mêlent héroïsme machiste et nostalgie pour l’opulent passé proche. Dujardin aura sûrement l’intelligence de ne pas se confiner dans un genre en particulier. En tout cas, de Nice à Cannes, la Côte d’Azur semble lui réussir. Toujours sur planche(s) mais pas qu’en jaune.

La palme de la meilleure actrice a été décernée à Kirsten Dunst pour son rôle dans Melancholia de Lars Von Trier. La palme est aussi pour dire qu’il peut y avoir du bon et du mauvais chez tout le monde, y compris chez les admirateurs du Führer. J’espère que ce n’est pas juste symbolique et que le talent de l’actrice y est pour quelque chose.

Ma pensée va vers Pedro Almodovar. Je n’ai pas encore vu La piel que habito qui a déçu les critiques mais j’ai vu nombre de ses précédents films. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il devrait être primé. Cependant, ses films sont une autre façon de voir les rapports entre les deux sexes et cette façon là ne correspond pas à ce que la critique a l’habitude de décrypter dans le cinéma français ou américain. Surtout qu’il ne sollicite pas de gros budgets sélectionneurs de films à voir massivement. Almodovar est l’auteur d’œuvres qui se distinguent des autres, mais insuffisamment pour être érigées en style susceptible de faire Ecole. C’est le défaut du centrisme. N’empêche que ce troubadour du 7ème art au patronyme très morisque, n’a pas son pareil pour parler des femmes. Je crois qu’il les comprend.

Je suis en train de regarder une émission sur France3, qui parle rétrospectivement des préparatifs du festival. Une phrase retient mon attention. « Tout est calculé, la montée des marches … ». On briefe les femmes de chambre qui doivent apprendre les noms des invités et les appeler par. Une personnalisation du service et un souci du détail propre à ceux qui refusent la médiocrité. Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec chez nous, où l’actuelle culture est celle de l’à peu près. Lorsque le grosso modo devient la règle malgré la disponibilité de moyens logistiques suffisants, cela ne veut dire qu’une chose : le sous-développement, c’est dans la tête que ça se passe.

Cannes profite de son festival pour accueillir des visiteurs. Une ville intelligente, donc, qui exploite l’évènement pour faire fonctionner son économie. La ville attire les curieux, les journalistes et les cinéphiles, entre chanceux qui se font inviter et moins chanceux qui transforment la Croisette en allée des pas perdus.

Cannes attire aussi d’autres catégories de touristes. Comme les bimbos « richophiles » qui, esthétiquement retouchées ou non, rêvent de se faire inviter, entretenir puis épouser. Comme les pique-assiette dont un exemple est cet invité à une réception cannoise qui dit : « J’essaie de manger le maximum et d’avoir un max de meufs. Autrement, je m’en bats les c… des films ».

Parallèlement au festival, la ville continue de vivre. Et quelle belle expression que celle de ce prêtre qui s’apprête à célébrer la messe pour prouver que les fidèles ne sont pas moins importants que les stars. « Tous ces films décrivent la vie humaine. A travers ces vies humaines, Dieu se manifeste ».

Anecdote, « Robert De Niro s’est fait attendre 3 heures pour moins de 3 minutes de séance photos, sans un petit mot », regrette la narratrice de l’émission. Le phénomène de déification des stars est consternant. Je peux comprendre qu’un collectionneur d’affiches de films autographiées en tire plaisir. Fierté devant ses amis. En revanche, je me demande en quoi peut exalter un autographe apposé sur un feuillet de calepin. Je me fais une raison en pensant que les stars sont l’incarnation du rêve de gloire et que c’est ce rêve qui préserve le mythe et les emplois qui vont avec.

Les journalistes sont présents en force et le festival est l’évènement le plus accrédité au monde, après les Jeux Olympiques. « On travaille, on discute, on négocie dans toutes les langues ». Les journalistes sont en permanence à l’affût d’une photo ou d’une interview. D’une simple info. A défaut, la fréquence d’impression des magazines les rabat sur les rumeurs. Tant mieux s’il s’agit d’une artiste politisée, le tirage n’en sera que plus important. Au fait, pourquoi les journalistes algériens ne sont-ils jamais présents à ces manifestations ? En l’absence de chaînes télé privées algériennes et de magazines spécialisés ? C’est plus complexe que ça et la question m’amènerait à parler du marché du cinéma et d’un ensemble de données que ne pourrait contenir cet article. Avant de passer à autre chose, je fais remarquer que les données socioéconomiques n’expliquent pas tout. D’ailleurs, même pour un évènement qui a lieu en Algérie, les médias lourds ne se déplacent que quand les autorités sont là. C’est comme ça qu’ils font leur métier, en préférant se montrer au lieu de montrer.

La Croisette fourmille et « il se passe toujours quelque chose ». C’est symptôme de ville qui palpite, qui vit. Elle ne s’endort pas, même après le travail. « A partir de dix-huit heures, tout le monde se met sur son trente et un ». Même les policiers s’y mettent. Tout le monde se soigne et tout le monde est au service de la réussite. Comme c’est beau !

En attendant la prochaine édition, Cannes se prépare pour une autre saison. Celle du tourisme de villégiature qui pourrait rabattre les habituels estivants de Tunisie, d’Egypte et même d’Andalousie. Le malheur des uns peut faire le bonheur des autres, à condition de s’y préparer. Cannes mobilise ses habitants et attire les visiteurs. Pendant ce temps et respectivement, l’Algérie chasse et repousse. Heureusement que de tels festivals existent. Ils nous permettent de voyager, d’espérer, de rêver, de vivre.




jeudi 5 mai 2011

Bourgeonnement printanier à Tlemcen





Le Festival International de Musique Andalouse et des Musiques Anciennes a été exceptionnellement délocalisé à Tlemcen (du 27 avril au 6 mai 2011) mais devrait se tenir normalement à Alger en décembre prochain. Une bonne nouvelle.

Le festival a été la confirmation de talents qui oeuvrent en toute modestie pour la survie et la pérennité de la musique andalouse comme Yacine Kacimi El Hassani, un calligraphe qui, depuis des années, ne se contente pas d’écrire des lettres arabes mais est de ceux qui les prononcent en musique, et quelle musique. Le 2 mai, s’est produit l’Orchestre Régional d’Alger. Peu de choses à dire dont la plus notable est que le tempo du dardj était trop rapide. Le concert a été une énième occasion de confirmer le talent de Mokdad Zerrouk. Une valeur sûre de cette musique chez qui la simplicité n’est pas synonyme de banalité. A travers la prestation vocale de ce dernier, il aura été démontré que, quels que soient ses avantages, le chant collectif ne pourra jamais ravir la place au chant individuel.

La primauté du chant individuel sur le chant collectif (ou vice-versa) avait fait l’objet d’un débat entre musiciens à Mostaganem en 2006. On m’avait demandé quelle était l’utilité de faire des répétitions d’ensemble si le chant devait être individuel. J’avais répondu que les répétitions étaient faites pour maîtriser les mélodies et assurer la cohésion. L’Histoire de cette musique a toujours réservé une place de choix pour la belle voix et je continue à penser que celle-ci est le premier et le meilleur des instruments de musique. Je sais qu’elle ne donne pas à celui qui la possède beaucoup de mérite vu qu’elle est généralement innée (les techniques peuvent être acquises). Néanmoins, la belle voix montre que chacun de nous est prédestiné à quelque chose et je rassure en disant qu’on peut être un maître sans nécessairement avoir une voix extraordinaire. D’ailleurs, beaucoup de maîtres n’en ont pas et beaucoup de ceux qui en ont ne sont pas des maîtres.

Durant la même soirée, s’est produit l’orchestre de Mohamed Qadri Dalal. J’ai déploré l’absence de musiciens ou de choristes improvisateurs qui puissent être remarqués. La prestation a été tout juste moyenne, donc décevante par rapport à ce que j’attendais d’un aussi valeureux représentant de l’Ecole d‘Alep.

Durant le festival, la table ronde « Spécificités des ξoûds maghrébins » a été organisée pour préparer la rencontre de décembre prochain et qui sera dédiée au ξoûd maghrébin à quatre cordes. Un sujet très peu abordé par le passé et qui promet au vu des axes d’investigation et de recherche qui se sont dégagés.

Je me sens également en devoir de parler de cheikh Hacène Salah Boukli. Un maître qui a donné à la musique andalouse et qui continue à oeuvrer contre vents et marées. Actuellement, il continue à s’occuper de son association musicale El Kortobia et entreprend d’enregistrer le répertoire de Tlemcen, seul et avec ses propres et rudimentaires moyens. Quand je vois le médiocre résultat qu’a donné l’enregistrement (Ecole de Constantine) initié par le ministère de la culture et parrainé par l’ONDA (office algérien des droits d’auteur), je me dis qu’on donne des noix à ceux qui n’ont pas de dents. D’autant que cet enregistrement a été pécuniairement fort doté. Il serait temps que des cheikhs de la trempe de Boukli soient plus reconnus et mieux valorisés. Qu’on arrête de leur mettre des crocs-en-jambe pour les éloigner de manifestations comme ce festival. Certes, cheikh Boukli avait eu des différends avec les organisateurs du festival mais j’ai cru comprendre que beaucoup des causes de la discorde étaient dus aux médisances de tierces personnes. Louable initiative, Rachid Guerbas a invité cheikh Boukli à prendre part à la table ronde et la présence de ce dernier a été appréciée.


Au-delà de ce qui a été programmé dans le cadre de Tlemcen, capitale culturelle du Monde Islamique 2011, l’évènement aura été l’occasion de redorer le blason de cette ville au riche patrimoine culturel par des travaux de réfection et d’embellissement urbains dont elle avait bien besoin. Mon seul regret est de na pas avoir eu le temps de visiter la médina. A défaut de voir toutes les célèbres portes dont Bâb el djiâd et Bâb zîr, j’ai pu voir Bâb el h’dîd et ce qui m’a semblé être une partie des vieux remparts. Dans son hawzi Tâl el ξdêb biyya (Ma peine perdure), qui est chanté à Constantine, Ben M’saïeb (m. 1768) parle de la beauté des Tlemceniennes qu’on pouvait admirer à Bâb el djiâd :

يوم الخميس يخرج و الا الاثـنـيـن

يا من عـليه بالـفـرجة في باب الجيـاد


يـقصد بـياض ولـفي و يشـوف الـزيـن


Que celui qui veut admirer à Bâb el djiâd sorte le jeudi ou le lundi.
Qu’il regarde la blancheur de ma bien-aimée et qu’il voie la beauté.



A propos de la beauté des Tlemceniennes, les Constantinoises n’ont rien à leur envier. Comme quoi, ce qui manque le plus en Algérie c’est la beauté des actes.

J’allais instinctivement dire que l’Algérie a besoin de tous ses enfants mais je ne le dis pas. L’Algérie a besoin de ses bien intentionnés enfants et il faut multiplier les initiatives comme celle-ci pour redonner confiance et remettre sur la sellette. Les saboteurs, ces adeptes d’une forme de traîtrise post-indépendance, doivent être éloignés des champs d’action. Il en va de l’émergence et de la réémergence des talents et des potentialités qui, plus fortement que toute action politique, redonneront sa place à l’Algérie dans l’aire géographique qui est historiquement sienne.




lundi 25 avril 2011

Les chorales fleuries de l’édénique Andalus





Le 7 avril passé, l’association El Djenadia a donné un concert au Palais de la Culture d’Alger pour présenter son nouveau CD. En Algérie, les associations musicales andalouses sont l’un des derniers remparts contre la tombée en désuétude de ce que nous avons reçu de plus noble d’al-Andalus.

Il est navrant de constater que ce sont ceux qui font des efforts qui reçoivent le moins. La raison nationaliste qui explique la naissance du mouvement associatif algérien est toujours de mise. Au regard de la faiblesse de leurs moyens, ces associations sont des espaces de la militance culturelle et nationale. Prenant la parole lors de la soirée en question, Nour Eddine Saoudi a décrit l’orchestre comme une chorale fleurie1. Peu importe que le mot « chorale » soit étymologiquement lié à « chœur » et non pas à « cœur ». L’homonymie acoustique de ces deux derniers mots met la puce à l’oreille (musicale). Quoi de plus important pour un musicien que ce qu’il entend ?

Je décrypte dans le choix d’El Djenadia de faire du mezdj (alternance de pièces musicales en deux modes mélodiques) la volonté de donner une coloration moins linéaire sur le plan modal, donc moins lassante. Les seules limites dans l’interprétation musicale sont celles de l’imagination de l’interprète.

Parmi les poèmes présentés lors du concert, j’en encadre un. Un beau poème de Ibn Khafâdja (1058-1137 ou 1138) :

ماء و ظـل و أشجار و أنهار

يـا أهـل أنـد لـس لله ذرّكُـم
و لو خُيّرتُ ذا ما كنتُ أختار

ما جنّة الخلد إلاّ في دياركم
فليس تُدخَلُ بعـد الجنّة الـنّـار

لا تحسبوا بغد أن تدخلوا سقـرا

Qu’Allah vous comble ô gens d’al-Andalus, pour eau et ombrage, arbres et rivières
N’est éternel paradis qu’auprès de vous, où j’aimerais être si je pouvais
N’ayez peur de l’enfer car ne peut y aller qui paradis a connu2


A chaque fois qu’on évoque ce poème, c’est cheikh Sadek el Béjaoui (1907-1995), de son vrai nom Sadek Bouhayia, qui me vient à l’oreille car il m’en a auditivement transmis les vers lorsqu’ils les a improvisés lors du 1er Festival de Musique Andalouse en 1967. Coïncidence (?), il les avait improvisés en tabξ (mode mélodique) raml el maya pour chanter, entre autres, le dardj Min tilka-ad-diyâri chamamtou nafhan (Me parvient l’arôme de ce lointain pays). Ce rare ténor savait chanter debout, dressant toute son élégance pour contredire ceux qui, de son temps, associaient cette musique aux lieux mal famés des médinas. En plus d’avoir formé des musiciens, cheikh Sadek el Béjaoui a prouvé que l’arabité induite par l’islam et consacrée par les poèmes de la musique andalouse, ne nie pas l’amazighité. La surdité par apport aux revendications de l’autre est source de division et quand je pense qu’il y a quelques années, j’étais contre l’enseignement de tamazight, je ne peux que me traiter de chauvin.

On aura remarqué que Ibn Khafâdja use d’exagération pour être plus percutant et traduire la splendeur du monde qu’il décrit. Cette tendance à l’exagération est commue aux poètes ou à certains peuples comme ceux de la Méditerranée. Quand un Algérien parle, tous les taux sont à 99,99 %. Et lorsqu’il parle de l’unité, c’est-à-dire d’un taux de 100%, il majore à 101%, 200%, ou même 1000%. De toute évidence, la démesure est une qualité nationale.

Voici le poème.


من رقّة نفوسنا

شممت نفحا

من تلك الديار
من فوق رؤوسنا

مالت العمايم




و اختيار جلوسنا

ما ذا النفحة

فقلت يا كرام
أندلوسنا

و اشتقنا لحضرة




و انهرقت دموعنا

و زدتُ قرحة

زاد قلبي هيام
و الجسم يفنى

من فوق الخدود




سبحانه مقيل العثار

قالوا صف الإنتظار
و خلّفت قلبي

بجسمي وحدي

جئتُ من مالقة
نعمل يا ربّي

في غرناطة آش


Me parvint l’arôme de ce lointain pays, de notre sensibilité
se penchent nos turbans, nos têtes d’humilité.

Je dis ô nobles, compagnons honorables,
de notre Andalus nous manque ce que stable.

Mon cœur reprit de passion, moi de douleur, mes larmes fusent
dessus mes joues, et mon corps s’use.

Décris ton attente ! Disent-ils. Que le tout puissant pardonne les erreurs.
De Malaga je viens, seulement de mon corps, à Grenade reste mon cœur.
Que puis-je y faire, ô Seigneur ? 2


Les derniers vers suggèrent que le poète a composé cela depuis le Maghreb. Grenade est tombée et l’embarquement s’est fait depuis Malaga. De quelles erreurs parle le poète ? Parle-t-il des erreurs humaines d’une manière générale ou bien des erreurs qui ont conduit à la chute de Grenade et à la fin de la présence musulmane en al-Andalus ? Incompréhensible est l’homme qui oublie de regarder les erreurs de ses aïeux pour comprendre que s’il ne fait pas attention, il risque de détruire ce qui a été construit. Aujourd’hui, beaucoup d’Algériens détruisent ce que d’autres Algériens ont construit. Tout le monde participe à la gabegie et à la déconstruction ou y assiste sans rien dire et tout le monde s’en plaint. La légende dit qu’en sortant de Grenade, Boabdil3, le dernier souverain musulman d’al-Andalus, se retourna pour voir sa ville une dernière fois et pleura. Sa mère Aicha el Horra ( عائـشة الحـرة ) lui dit :

لمْ تُحافظ عليه مثل الرجال

إبْـكِ مثل النساءِ مُـلكـا

Pleure comme une femme ce que tu n’as su préserver comme un homme.


Le plus grave n’est pas de commettre des erreurs mais de ne pas essayer de les corriger. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, alors arrêtons de déconstruire et reconstruisons.

Je reviens à ce dardj raml el-maya pour remarquer qu’il a une particularité. Certains auront compris que je parle du rythme de cette pièce musicale. En effet, à la fin de chaque vers, le rythme consacré de mesure 4/4 (lui-même discutable, d’ailleurs) se transforme en rythme ternaire de mesure 6/8. Je donne ici la mesure 6/8 pour faire comprendre qu’il s’agit du rythme le plus usité du mouvement ensrâf. Tout musicien aguerri sait que la mesure n’est pas tout à fait 6/8 mais je la préfère à celle, trop simpliste, de 5/8. Une petite accélération survient effectivement entre les deux temps forts et il est possible de résoudre le problème en modifiant la fraction. La méthode la plus simple est de multiplier la fraction (par un même entier) puis de diminuer le numérateur de un, à chaque essai, jusqu’à obtention d’une fraction capable de traduire le véritable rythme utilisé pour l’ensrâf. Le problème avec cette méthode est qu’elle complique la compréhension de la fraction pour de jeunes apprenants comme au sein des associations musicales. Pour ces derniers, il est acceptable d’indiquer pour l’ensrâf une mesure simple. Certains disent que la résolution du problème de la mesure réelle de l’ensrâf est également possible en faisant appel à la notion d’horloge molle. Mais ce n’est pas le propos.

Dans le dardj Min tilka-ad-diyâr, le fait qu’il y ait cassure par changement subit de rythme, et il est clair que ce n’est pas une erreur de transmission, témoigne de la volonté du compositeur d’enrichir la rythmique de la pièce. Un genre de fatuité qui ne peut être admis qu’avec parcimonie et, de fait, cela est très rare dans les noubas de la musique andalouse. Ses pièces sont généralement de même rythme du début jusqu’à la fin (les exceptions sont surtout dans le dernier mouvement), ce qui ne veut pas dire qu’elles ne comportent pas d‘anomalies. Deux cas sont à excepter.

Le premier cas est l’accélération de tempo sur une même mesure lors de la réponse mélodique d’un vers (Ecole d’Alger) et qui s’explique par la volonté de ne pas lasser par une mélodie muette et trop lente. On admet, par simplification, que ce tempo est deux fois plus rapide que celui observé lors du chant. Dans la réalité, le rapport du 2ème tempo au 1er est assez aléatoire et relève de l’humeur du meneur d’orchestre. Je me demande si, avant, on prenait la peine d’accélérer. Je suis tenté d’en douter quand je sais que les mélomanes ne se lassaient pas d’écouter de la musique, fut-elle muette, sur un tempo lent, eux qui savaient prendre le temps d’écouter et d’apprécier. Mais alors, comment interprétait-on une nouba entière. Je suis tenté de demander à un orchestre sana (Ecole d’Alger) d’exécuter la nouba zidane aussi lentement qu’il le pourra en jouant le m’saddar tahyâ bikoum koullou ardin tanzilouna bihâ (Vous vivifiez tout pays où vous arrivez) en n’accélérant pas le tempo lors des réponses mélodiques. La fantasmagorique théorie d’une nouba pour chaque heure n’a qu’à bien se tenir.

Le deuxième cas est le changement de rythme et de mesure lors de la réponse mélodique dans le m’saddar de l’Ecole de Tlemcen et c’est le cas le plus intéressant. Je ne crois pas qu’il faille retenir comme hypothèse que cela ait été pensé pour délasser. Le tempo aurait pu être tout simplement accéléré en conservant à peu près le même rythme. Je crois plutôt que c’est pour résoudre un autre problème. Celui de la non complétion de la mesure 16/8 du m’saddar. Ce même problème existe dans certains m’saddars constantinois. En ne changeant pas de rythme ni de mesure, l’amorce du vers suivant par rapport au rythme se situe différemment et le décalage s’intensifie au fur et à mesure que le m’saddar se déroule.

Pour certains m’saddars constantinois, le problème est assez facile à résoudre. C’est le cas de Selli houmoumek fi de-l-ξachiyya  dans la nouba raml. La mélodie se termine par une note soutenue qu’il faut juste savoir raccourcir pour reprendre normalement le rythme. Pour d’autres m’saddars, la technique ne donne aucun résultat et je ne peux envisager que deux explications possibles. Ou bien la mélodie a été travestie, ce qui a fait en sorte qu’elle ne se superpose plus parfaitement à son rythme. Ou alors, le prétendu rythme affecté à cette mélodie n’est pas le bon. En effet, certains m’saddars se révèlent, après investigation, être des récupérations de pièces musicales de rythme 8/8 qu’on a triturées pour les transformer en ms’addars de mesure 16/8. La raison la plus plausible serait la volonté de pallier un manque en pièces musicales de ce mode. Cela a été récemment le cas pour la nouba dheïl et la nouba mezmoum de Constantine, pour laquelle sont devenus m’saddars des dardj (8/8) et des enqlâb (4/8)3. Lors de mes recherches, je rencontre souvent des cas pour lesquels il m’est impossible de trancher. Dans ce genre de situations, je m’impose une règle à laquelle j’invite tout le monde : il vaut mieux laisser une situation avec ses erreurs actuelles plutôt que de la corriger sans la comprendre.

L’idée de transformer ces pièces n’est pas à rejeter juste parce qu’elle change des choses, mais des problèmes surgissent lors de  la transformation de ces pièces. En plus du problème rythmique dont je parlais, la mélodie, initialement composée pour être jouée sur un tempo rapide, donc avec peu de sophistication, devient lente. Les musiciens sentent un vide mélodique terrible qui ne peut que les inciter à orner et donc à travestir. Au lieu de transformer des pièces existantes, ce qui équivaut à déshabiller Pierre pou habiller Paul, pourquoi ne pas composer de nouvelles pièces en commençant par las manquantes ? Cheikh Abdelkader Toumi-Siaf (1906-2005) à qui j’avais posé le problème à maintes reprises était dubitatif. « Quelle ingéniosité serait capable de composer des pièces aussi belles que celles que nous chantons ? », me demandait-il. Je ne crois pas qu’il faille absolument composer des pièces qui traduisent l’esprit esthétique qui régnait en al-Andalus. L’environnement esthétique et culturel, sonore notamment, est aujourd’hui totalement différent. Des expériences sont tentées ça et là mais elles sont loin de recueillir le consensus des musiciens.

Ces anomalies peuvent être des inversions des temps forts par rapport aux faibles (Ecole d’Alger), des décalages d’entrée de pièces (problèmes d’anacrouse) ou de bouclage de mesure (mesures incomplètes non rattrapées dans l’Ecole de Constantine). Ce dernier cas est spécifique aux m’saddars constantinois de mesure 16/8.

Une autre lecture rythmique de cette pièce musicale (Min tilka-ad-diyâr) est possible. J’y vois une cassure qui représente l’accident qui survient et qui bouleverse le calme de la vie des gens d’al-Andalus. C’est le thème central du poème et on peut penser que le compositeur et le poète ne font qu’un. Fort probable, car la spécificité du muwashshah ou du zadjal est que le poème est écrit pour être chanté sur une mélodie déjà composée. Les mètres classiques arabes ne suffisant pas, on a du les transgresser. Mieux, lorsque la mélodie est plus longue que le vers, on remplit d’interjections et de formules extatiques comme ya lalân. Avec les poèmes arabes classiques, c’était l’inverse. La poésie primait sur la mélodie et la devançait. Cela veut dire que les gens d’al-Andalus étaient plus musiciens que poètes.

Cela me rappelle une anecdote. De visite à Constantine, des enseignants du Conservatoire de Grenoble ont été escortés par deux personnes qui leur ont expliqué que, dans la musique andalouse, les paroles priment sur la mélodie. L’ignorance peut être pardonnable en soi mais elle ne peut pas l’être lorsqu’elle est associée à la vantardise. Le jumelage Constantine-Grenoble aura eu le mérite de démontrer, ab absurdo, que le fameux slogan algérien « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut » n’a pas eu de prise sur la ville. D’ailleurs, on a eu raison de démolir les remparts de Constantine au début du XXe siècle car ils ne servent plus à rien. Aujourd’hui, la citadelle est assiégée de l’intérieur et qui s’y perche s’y pique.

Penchons nous un peu sur notre Andalus perdu. Ce que les gens d’al-Andalus ont perdu ce ne sont pas les arbres, les jardins et les rivières. Tout cela existe au Maghreb, le climat est sensiblement le même, et les territoires sont même plus étendus. Les gens d’al-Andalus ont perdu la mixité et la cohabitation des races et des religions. Un mélange favorable et indispensable à l’épanouissement et à la production. Sur le sujet des raisons de la défaite, ce n’est pas la musique qui en est à l’origine. Encore moins l’image d’un Andalus caricaturé par certains sous des traits de luxure. Ce qui a causé la perte d’al-Andalus ce sont la jalousie et la trahison qui ont poussé à comploter pour destituer son voisin même quand ce voisin ne vous menace pas. La grande armée de Grenade, sous Boabdil, a été quasiment décimée suite à la trahison d’un Grenadin musulman qui avait prévenu l’ennemi avant la bataille de Lucena en 1483. Cette grande armée n’a jamais pu être reconstituée et, un peu moins de neuf ans plus tard, la ville se rendait à ses assiégeants par manque de vivres. C’en était fini de Grenade et d’al-Andalus.

Notre musique est riche et sa richesse nous échappe encore, bien que nous disions en être au courant. Il est malheureux de constater que les intervenants, lors des colloques et congrès, se contentent de ressasser et de seriner des choses que personne ne remet en cause. On continue à croire que Ziryab a composé vingt quatre noubas alors qu’il est mort deux siècles avant l’apparition du muwashshah et du zadjal. Notre Histoire mérite d’être revisitée et nous gagnerions à la démystifier pour comprendre les vraies raisons de notre décadence après notre essor. Il n’est pas trop tard pour renouer avec les bonnes traditions d’al-Andalus en faisant plus de place à la valeur et au mérite et un peu moins à la flatterie et au favoritisme. Mais aussi en nous ouvrant plus sur les autres et en acceptant la modernité. La musique andalouse doit être préservée, les compositions et les musiques nouvelles doivent également avoir leur place. Nos aïeux disaient bien : الجديد حـبـّه و الـقـديـم لا تـفـرّط فـيه : Aime ce qui est nouveau mais n’abandonne pas ce qui est ancien. A bon entendeur.



Notes :

1. Rapporté dans le quotidien L’Index n° 1064 du 11 avril 2011. p.9.

2. La traduction est de l’auteur de l’article.

3. Abû ξAbd-illâh Mohammed b’nou Abî al-Hasan ξAlî, dit Boabdil. Né à Grenade en 1459, mort à Fès entre 1528 et 1533.

4. Cf. Kaddour Darsouni, Recueil des poèmes de la musique andalouse Malouf de Constantine, à compte d’auteur, Constantine, 2007.