mercredi 22 juin 2011

2 Grenade à Tlemcen


Sous l’intitulé « La poésie et la musique andalouse : l’Ecole de Tlemcen. La nûba : empreintes passées et perspectives d’avenir », le colloque qui a duré du 13 au 15 du courant juin a donné place à plus de quarante communications à l’intérêt et au sérieux variables. Le Centre National de Recherches Préhistoriques, Anthropologiques et Historiques (CNRPAH) s’enorgueillit de ne jamais refuser un communicant. Une erreur. Car, si je me réjouis qu’il y ait eu 10 nationalités et 4 continents représentés par les communicants, les conférences n’étaient pas toutes reliées au thème majeur du colloque. Pire, nous avons eu droit à la légende populaire de « il était une fois Ziryab … qui composa 24 noubas … », déclinée sous différents camouflages musicologiques.


Les nombres importants de communicants sont généralement prévus pour les symposiums. Là où on attend des participants qu’ils concluent par des recommandations majeures et des fixations d’échelles musicales ou d’autres concepts qui ont besoin de consensus.
Trop serré, l’emploi du temps n’a pas laissé suffisamment de place aux débats ni aux rencontres en marge, entre chercheurs. Les moments des repas l’ont un peu permis mais l’efficience est sujette aux hasards des attablements. Ce même emploi du temps n’a pas permis de visiter les hauts lieux de la ville. On dira que la rencontre n’était pas touristique. Oui, mais s’imprégner de l’ambiance d’une cité et de son Histoire, à travers son urbanisme et ses monuments, est infiniment instructif pour comprendre la pratique musicale de ses habitants.

L’emploi du temps n’a pas permis, non plus, de profiter de la Semaine Culturelle Espagnole qui s’est tenue en parallèle et au même Palais de la Culture d’Imama. Ne pas avoir rendu visite à la culture du pays où est née la musique dont nous avons parlé est une honte. Que les Espagnols nous pardonnent.

La couverture médiatique a été bonne pour l’audiovisuel. Pour la presse écrite, les comptes-rendus ont manqué de discernement. Attribution de communication à des chercheurs absents, etc. Quant aux textes intégraux des communications, le CNRPAH et l’Université de Tlemcen comptent les regrouper en actes. Certains participants ont regretté l’absence de chercheurs libyens et syriens. Je me joins à eux et je rajoute mes regrets pour l’absence de chercheurs italiens, égyptiens et autres. Un match de foot ne peut pas effacer des éléments culturels communs aussi solides que ceux relevant de la musique andalouse.

Pour revenir au consensus cité en début d’article, Nadir Maarouf s’est lancé dur ce terrain lors de la table ronde qu’il a modérée le dernier jour. Il a exprimé le vœu de fixer définitivement l’appellation de cette musique. Il faut rappeler que des tentatives ont eu lieu dans le passé, pour ce faire, et ont toutes réussi sur le moment et échoué plus tard, sur le terrain. Pour ma part, je ne vois pas l’utilité d’appeler cette musique par autre chose que « musique andalouse ». D’abord parce qu’elle est née en Europe. Les backgrounds et les substrats n’y changent rien et c’est en Andalousie qu’elle s’est cristallisée, nonobstant les évolutions qu’elle a connues par la suite. Puis, parce que cette appellation (musique andalouse) ne nie pas la participation de Maghrébins à sa formation, son évolution et sa transmission. C’est l’absence de référence au Maghreb dans l’appellation « musique andalouse » qui gène.

J’ai dit par le passé, et j’ai rappelé lors de ce colloque, qu’il n’y a rien de plus absurde que de vouloir s’accaparer cette musique comme patrimoine exclusif. La musique andalouse n’appartient à personne en particulier mais à tous ceux qui en prennent soin.

Ma communication a concerné les anomalies rythmiques dans le m’saddar constantinois. En effet, lors de la pratique de la musique andalouse dans l’Ecole de Constantine, des anomalies rythmiques perturbent régulièrement le déroulement rythmique de la nouba. Si certains d’entre eux sont relativement faciles à corriger, d’autres, par contre, posent un réel problème. D’autant que la musique andalouse ne peut souffrir de passer outre ces anomalies alors qu’elle est prétendue savante. Parmi ces anomalies, celles constatées lors de l’interprétation de certains m’saddars. De mesure 16/8 comme à Tlemcen, le m’saddar constantinois a la particularité de ne pas différencier entre rythme exécuté lors du chant et celui exécuté lors de la ritournelle. J’ai tenté d’apporter des réponses pour expliquer l’origine de ces anomalies, en remettant en cause la genèse admise de la formation des trois Ecoles algériennes et de leur différenciation. Il a été trop vite admis que, d’Est en Ouest, les trois Ecoles algériennes ont hérité des pratiques musicales de Séville, Cordoue et Grenade. A partir de ces questionnements, plusieurs scénarios ont être envisagés dans le but d’expliquer ces anomalies rythmiques et de déboucher sur un ressourcement dans l’exécution de la nouba constantinoise.

Les recherches sur la musique andalouse patinent. Les études sérieuses sont trop disparates et surtout peu confrontées les unes aux autres. Nous avons besoin de rencontres thématiques pour avancer sur des sujets préalablement délimités le plus exactement possible. Autour de la rythmique, de la prosodie, des modes mélodiques. Autour de l’enseignement pratique de la musique andalouse, au sein des associations et des écoles publiques. Autour de thèmes liés à l’artisanat et à l’économie, comme la lutherie.

Après la question de l’appellation de cette musique et le débat sur les avantages et les inconvénients de sa transcription, la vraie question est celle de savoir que faire de cette musique. Le désir de comprendre ce qui est encore musicologiquement obscur et de montrer au monde que le pays se porte bien en accueillant des étrangers, occidentaux compris, ne suffisent pas comme objectifs. De la réponse dépendront nos initiatives et nos actions dans le futur proche. C’est là la seule véritable façon de prendre soin du legs.

Bien sûr que des lacunes ont été remarquées et on s’y attendait, vu l’ampleur de l’évènement « Tlemcen, capitale culturelle du monde islamique 2011 » et le temps de préparation relativement court. Nonobstant,  la Cité aura eu le mérite de renouer avec son passé glorieux en ces temps là où les musulmans illuminaient le monde avant le siècle des lumières. C’était la période où les musulmans avaient compris que les sciences et les lettres ne peuvent pas s’épanouir dans le renfermement sur soi et dans le rejet systématique de tout ce qui est différent. Devant le nouveau Palais de la Culture de Tlemcen, l'alignement des drapeaux des pays musulmans faisait beau à voir. L’enfilade serait encore plus belle si elle comprenait des drapeaux d’autres pays méditerranéens à qui la musique andalouse nous associe et nous lie à jamais.


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