lundi 23 mai 2011

Cannes se termine et continue



Le Festival de Cannes vient de se terminer et la Palme d’Or a été attribuée à L’Arbre de la Vie (The Tree of Life) de Terrence Malick. Un réalisateur si discret que personne ne sait à quoi il ressemble. La seule photo disponible de lui date d’il y a une trentaine d’années. C’est le type à ne pas se faire fabriquer un press-book à partir de photos prises à la sauvette. La palme est pour les perfectionnistes et c’est pour cela qu’elle fabriquée par de perfectionnistes artisans genevois. On pourrait penser que la rareté de l’artiste est planifiée et qu’il fait semblant de fuir les feux de la rampe mais on aurait tort. Il n’a réalisé que cinq films en plus de 40 ans de carrière. De bons films.

Contredisant beaucoup de pronostics, Jean Dujardin a été sacré meilleur acteur pour sa prestation dans The Artist. Faisant le muet en noir et blanc au XXIe siècle, il ne pouvait que se démarquer, dans ce monde où les images et les couleurs défilent sans arrêt. Le noir et blanc est aussi l’allusion à nos rêves insouciants et peu colorés, pour oublier, le temps d’une séance, les soucis de la vie. La gestuelle princière et un peu désinvolte de Jean Dujardin rappelle celle de Jean-Paul Belmondo en moins agité. J’ai vu la quasi-totalité des films de Belmondo dans le passé mais que je ne l’accroche toujours pas tellement. On se demandera pourquoi l’avoir vu, alors. L’unique chaîne télé algérienne (à l’époque) ne l’explique pas à elle seule. L’adolescence s’accompagne de recherche de héros et c’est un peu comme ça que je le voyais. Je reviens à Dujardin. Révélé par la série télévisée Un gars, une fille, aux côtés d’une Alexandra Lamy bougonne à croquer, il a été confirmé dans Brice de Nice. Le Caire nid d’espions et Rio ne répond plus, eux, sont deux films qui mêlent héroïsme machiste et nostalgie pour l’opulent passé proche. Dujardin aura sûrement l’intelligence de ne pas se confiner dans un genre en particulier. En tout cas, de Nice à Cannes, la Côte d’Azur semble lui réussir. Toujours sur planche(s) mais pas qu’en jaune.

La palme de la meilleure actrice a été décernée à Kirsten Dunst pour son rôle dans Melancholia de Lars Von Trier. La palme est aussi pour dire qu’il peut y avoir du bon et du mauvais chez tout le monde, y compris chez les admirateurs du Führer. J’espère que ce n’est pas juste symbolique et que le talent de l’actrice y est pour quelque chose.

Ma pensée va vers Pedro Almodovar. Je n’ai pas encore vu La piel que habito qui a déçu les critiques mais j’ai vu nombre de ses précédents films. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il devrait être primé. Cependant, ses films sont une autre façon de voir les rapports entre les deux sexes et cette façon là ne correspond pas à ce que la critique a l’habitude de décrypter dans le cinéma français ou américain. Surtout qu’il ne sollicite pas de gros budgets sélectionneurs de films à voir massivement. Almodovar est l’auteur d’œuvres qui se distinguent des autres, mais insuffisamment pour être érigées en style susceptible de faire Ecole. C’est le défaut du centrisme. N’empêche que ce troubadour du 7ème art au patronyme très morisque, n’a pas son pareil pour parler des femmes. Je crois qu’il les comprend.

Je suis en train de regarder une émission sur France3, qui parle rétrospectivement des préparatifs du festival. Une phrase retient mon attention. « Tout est calculé, la montée des marches … ». On briefe les femmes de chambre qui doivent apprendre les noms des invités et les appeler par. Une personnalisation du service et un souci du détail propre à ceux qui refusent la médiocrité. Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec chez nous, où l’actuelle culture est celle de l’à peu près. Lorsque le grosso modo devient la règle malgré la disponibilité de moyens logistiques suffisants, cela ne veut dire qu’une chose : le sous-développement, c’est dans la tête que ça se passe.

Cannes profite de son festival pour accueillir des visiteurs. Une ville intelligente, donc, qui exploite l’évènement pour faire fonctionner son économie. La ville attire les curieux, les journalistes et les cinéphiles, entre chanceux qui se font inviter et moins chanceux qui transforment la Croisette en allée des pas perdus.

Cannes attire aussi d’autres catégories de touristes. Comme les bimbos « richophiles » qui, esthétiquement retouchées ou non, rêvent de se faire inviter, entretenir puis épouser. Comme les pique-assiette dont un exemple est cet invité à une réception cannoise qui dit : « J’essaie de manger le maximum et d’avoir un max de meufs. Autrement, je m’en bats les c… des films ».

Parallèlement au festival, la ville continue de vivre. Et quelle belle expression que celle de ce prêtre qui s’apprête à célébrer la messe pour prouver que les fidèles ne sont pas moins importants que les stars. « Tous ces films décrivent la vie humaine. A travers ces vies humaines, Dieu se manifeste ».

Anecdote, « Robert De Niro s’est fait attendre 3 heures pour moins de 3 minutes de séance photos, sans un petit mot », regrette la narratrice de l’émission. Le phénomène de déification des stars est consternant. Je peux comprendre qu’un collectionneur d’affiches de films autographiées en tire plaisir. Fierté devant ses amis. En revanche, je me demande en quoi peut exalter un autographe apposé sur un feuillet de calepin. Je me fais une raison en pensant que les stars sont l’incarnation du rêve de gloire et que c’est ce rêve qui préserve le mythe et les emplois qui vont avec.

Les journalistes sont présents en force et le festival est l’évènement le plus accrédité au monde, après les Jeux Olympiques. « On travaille, on discute, on négocie dans toutes les langues ». Les journalistes sont en permanence à l’affût d’une photo ou d’une interview. D’une simple info. A défaut, la fréquence d’impression des magazines les rabat sur les rumeurs. Tant mieux s’il s’agit d’une artiste politisée, le tirage n’en sera que plus important. Au fait, pourquoi les journalistes algériens ne sont-ils jamais présents à ces manifestations ? En l’absence de chaînes télé privées algériennes et de magazines spécialisés ? C’est plus complexe que ça et la question m’amènerait à parler du marché du cinéma et d’un ensemble de données que ne pourrait contenir cet article. Avant de passer à autre chose, je fais remarquer que les données socioéconomiques n’expliquent pas tout. D’ailleurs, même pour un évènement qui a lieu en Algérie, les médias lourds ne se déplacent que quand les autorités sont là. C’est comme ça qu’ils font leur métier, en préférant se montrer au lieu de montrer.

La Croisette fourmille et « il se passe toujours quelque chose ». C’est symptôme de ville qui palpite, qui vit. Elle ne s’endort pas, même après le travail. « A partir de dix-huit heures, tout le monde se met sur son trente et un ». Même les policiers s’y mettent. Tout le monde se soigne et tout le monde est au service de la réussite. Comme c’est beau !

En attendant la prochaine édition, Cannes se prépare pour une autre saison. Celle du tourisme de villégiature qui pourrait rabattre les habituels estivants de Tunisie, d’Egypte et même d’Andalousie. Le malheur des uns peut faire le bonheur des autres, à condition de s’y préparer. Cannes mobilise ses habitants et attire les visiteurs. Pendant ce temps et respectivement, l’Algérie chasse et repousse. Heureusement que de tels festivals existent. Ils nous permettent de voyager, d’espérer, de rêver, de vivre.




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