Voici un éclaircissement sur la maîtrise de Raymond Leyris en malouf, que j’ai écrit en réponse au commentaire Facebook de Fawzi Sadallah.
Je ne vais
pas m’étaler sur l’appellation « cheikh », j’avais déjà parlé de son
origine et de sa consonance. L’important, au regard de ce que soulève votre
commentaire, c’est de considérer les « maîtres » avec de mêmes
critères, ceux qui étaient communément admis. Et, au regard de ces critères,
Raymond Leyris (1912-1961) était incontestablement un maître.
Au passage,
je précise que les connaissances des maîtres du malouf, en théorie musicale
aussi bien qu’en art poétique, étaient très relatives à cette époque. En
matière de jeu de ôud ârbi, il n’est pas possible de comparer Raymond Leyris le
luthiste à Abdelhamid Benlebdjaoui le terrar (1910-1982), ni à Omar Chaqleb le
percussionniste (Chaqleb Essghir, de son vrai patronyme Chenoufi et non pas Ben
Amara, 1887-1946), ni à Tahar Benkartoussa le flûtiste (1881-1946). Quant aux Bestandji,
Ahmed (1875-1946) est connu pour ne pas avoir été bon joueur de ôud,
contrairement à Abdelkrim (1886-1940) qui passe pour être le meilleur de tous.
Le ôud étant mon instrument, je sais comment jouaient les anciens et les
contemporains, et je peux vous certifier que Raymond Leyris était un excellent
joueur. Sur la maîtrise d’une manière générale, ce sont des maîtres à
différents niveaux et les comparaisons donneraient des résultats différents
selon le critère considéré (répertoire, jeu instrumental, voix, etc.). Sur la
connaissance du répertoire, Raymond n’était pas le plus émérite mais il a été
élève d’Ahmed Bestandji (le plus grand de tous les temps, dit-on, par sa
connaissance du répertoire) et il n’était pas le dernier de la file. Sur
l’orchestration, Raymond Leyris reste inégalé et unanimement salué. C’est le
seul à avoir introduit autant de nuances dans le malouf, et dans les autres
genres, avec autant de maîtrise et de beauté.
Il est
difficile de dire combien de chansons apprenait tel ou tel maître, quelques
centaines ou quelques milliers. Néanmoins, à l’époque de Raymond, on n’en
trouvait pas un seul qui chantait avec un recueil de textes sous les yeux.
Aussi, les auditeurs étaient en droit de demander n’importe quelle chanson du
répertoire, et ils ne s’en privaient pas, et le maître était obligé d’honorer
cette demande moyennant paiement. Personne n’a jamais rapporté que Raymond
Leyris ait été un jour incapable de le faire. Les témoignages sur cette époque
ne manquent pas et, quelles que soient les sorties médiatiques d’Enrico Macias
et ses positions politiques, je suis d’accord pour dire qu’il ne fait pas
référence en la matière.
Si la
plupart des maîtres du malouf de Constantine étaient musulmans, comme la
plupart des habitants étaient musulmans, le rôle des maîtres juifs ne doit pas
être occulté. Le plus ancien maître reconnu comme tel à Constantine est Nessim
Boukebbous (1812-1900) et il était juif. De même, Abdelkader Toumi Siaf
(1906-2005) me racontait qu’avant Raymond, Yacoub Nabet (1830-1893) avait
« régné » (c’est le terme qu’il utilisait) sur la scène musicale
malouf pendant un quart de siècle. Nathan Attali (dit Nathan Bentari), drebki
dans l’orchestre de Raymond, avait d’ailleurs fait partie de l’orchestre Nabet,
auparavant. De même, Omar Chaqleb, un des plus grands maîtres de tous les
temps, tenait ses techniques de chant d’Eyraud Ghrenassia (oncle paternel de
Sylvain Ghrenassia). Abdelkader Toumi Siaf disait que personne ne chantait le
genre mahdjouz aussi bien que Eyraud, et disait n’avoir pas oublié la fois où
il l’avait écouté chanter « El âzz » en pleurant.
Ce sont là
quelques contre-exemples. Je ne classe point les interprètes de cette musique
sur la base de la confession, et je n’affirme point la supériorité ou
l’antériorité de telle ou telle communauté. Je ne dis pas que vous le faites et
je m’efforce de faire la part des choses, loin de toute considération autre
qu’artistique. Il est de notre devoir de reconnaître la diversité de l’Histoire
de l’Algérie, musicale ou autre, en étant objectifs et que cela plaise ou
déplaise. Si nous ne la reconnaissons pas, nous participons, peut-être sans le
savoir, à falsifier l’Histoire tout en reprochant à d’autres de le faire.
Hichem Achi
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