jeudi 15 mai 2008

Funduq et Dimajazz 2008

Evènement

Cette étape du projet « Funduq : rencontre, héritage et création » a été en relation directe avec la 6ème édition du festival ‘’Dimajazz’’, qui s’est tenue du 03 au 09 mai 2008 à Constantine (Algérie).

L’évènement a eu lieu durant le ‘’Mois du dialogue interculturel’’ (mai 2008) et dans le cadre du programme ‘’1001 actions pour le dialogue’’ de la ‘’Fondation Anna Lindh pour le Dialogue entre les Cultures’’. Des modifications ont été observées.

1. Stage de la rencontre
Du 30 avril au 03 mai, au Conservatoire Municipal ‘’Abdelmoumène Bentobal’’.

Direction pédagogique :
Pierre Vaiana, Salvatore Bonafede et Zohra Lajnef.

Participants :
Hafid Abdelaziz (batterie) ;
Hassine Ben Miloud (gasba, ney) ;
Simona Ferrigno (voix et tambours sur cadre) ;
Nadjib Gamoura (basse) ;
Mario Incudine (mandoline, percussions) ;
Zohra Lajnef (voix) ;
Michele Piccione (tambourins) ;
Foued Rafrafi (oud).

2. Résidence de création musicale
Du 04 au 07 mai, au Conservatoire Municipal ‘’Abdelmoumène Bentobal’’.

Direction artistique :
Pierre Vaiana.

Coordination de l’organisation :
Zoheir Bouzid.

Musiciens :
Pierre Vaiana (saxophone soprano) ;
Zohra Lajnef (chant) ;
Carlo Rizzo (tamburelli) ;
Salvatore Bonafede (piano) ;
Hafid Abdelaziz (batterie) ;
Nadjib Gamoura (basse) ;
Foued Rafrafi (oud) ;
Hassine Ben Miloud (gasba, ney) ;
Mario Incudine (mandoline, percussions) ;
Michele Piccione (tambourins).

Concert de restitution « Funduq El Mourenniyin » (Le Funduq des Chanteurs), le mercredi 07 mai.
Cette création fera l'objet d'un enregistrement d'un CD. Le disque sera publié sous le label AZ Productions (Talìa asbl).

3. Master Classes
05 mai, avec Sawadu.
06 mai, avec Mokhtar Samba.
06 et 07 mai, avec Steve Coleman.

4. Concerts
Du 03 au 09 mai, à 20h00, au Théâtre Régional de Constantine.

5. Emission radiodiffusée en live
07 mai, de 15h00 à 16h00, ‘’Radio Constantine’’ (régionale en FM).

Animation :
Abdesselam Ikhlef et Mohamed Rouabah.

Invités :
Hichem-Zoheïr Achi et Kheireddine Dekhal.

Thème :
Rencontre des musiques traditionnelles et contemporaines.

lundi 14 avril 2008

Le "Projet Funduq" à Constantine

Festival Dima Jazz 2008
Newsletter N° 2
Par
Hichem-Zoheïr Achi.

Evènement

Du 03 au 09 mai 2008 se tiendra à Constantine (Algérie) la 6ème édition du Festival Dima Jazz.


Cette année, le festival sera exceptionnellement en relation directe avec le projet « Funduq, héritage, recherches et création ».

La première rencontre du "Projet Funduq" a eu lieu du 25 au 29 février 2008 à la Faculté de Lettres et au Département "AGLAIA" d'ethnomusicologie de Palerme en Sicile (Italie). La deuxième, du 07 au 11 avril 2008, au Centre des Musiques Arabes et Méditerranéennes de Sidi Bou-Saïd (Tunisie).

Le projet culminera en mai 2008 lors du ‘’Mois du dialogue interculturel’’ et du programme ‘’1001 actions pour le dialogue’’ de la ‘’Fondation Anna Lindh pour le Dialogue entre les Cultures’’, à Constantine, par un stage de formation suivi d’une création musicale qui se donnera lors du Festival Dima Jazz 2008 ainsi que par des journées d’études et de recherche et autres évènements.

Commissaire du Festival :
Zoheir Bouzid.

Membres du Commissariat du Festival :

Brahim Mechaar ;
Nouredine Nesrouche ;

Mohamed Kamel Belkacem.

Déroulement du festival

1. Stage de formation
Du 30 avril au 02 mai 2008, Conservatoire Municipal ‘’Abdelmoumène Bentobal’’.

Formateurs :
Salvatore Bonafede, Pierre Vaiana et Carlo Rizzo.


Stagiaires :
Ouvert aux musiciens algériens et autres.

2. Résidence de création musicale

Du 03 au 06 mai 2008, Conservatoire Municipal ''Abdelmoumène Bentobal''.

Musiciens :
Hafid Abdelaziz ;
Hassine Ben Miloud ;
Simona Ferrigno ;
Nadjib Gamoura ;

Mario Incudine ;
Zohra Lajnef ;

Michele Piccione ;
Foued Rafrafi.

Concert de restitution « Funduq El Murenniyin » (Le Funduq des Chanteurs), le mardi 06 mai 2008.

3. Ouverture du Festival
Samedi 03 mai 2008.


Cérémonial :
Allocution de bienvenue et ouverture officielle par Le Commissaire du Festival.


Concert d’ouverture :
Groupe ‘Sinouj’, Algérie.


Invités :
Ziad Gharsa (sous réserve de confirmation).
Salim Fergani.


Décor visuel et lumière : Gilles Domenget.
Son : Augustin Bonnet et Alexis Gautier.
Direction artistique : Zoheir Bouzid.
Coordination artistique : Mohamed Kamel Belkacem.

Coordination générale : Brahim Mechaar.

4. Concerts
Du 04 au 09 mai 2008, à 20h00, au Théâtre Régional de Constantine.

Musiciens et groupes :

Dimanche 04 mai
Groupe ‘Madar’, Algérie ;
Groupe 'Jazzpel', France.


Lundi 05 mai
Groupe ‘Sawadu’, France ;
Groupe ‘Mokhtar Samba’, France.


Mardi 06 mai, day off.
Concert de restitution du stage de formation, « Funduq El Murenniyin ».
Emission télévisée “Qaada”.


Mercredi 07 mai
Groupe ‘El Funduq’, Belgique ;
Groupe ‘Steve Coleman and the 5 Elements’, Etats-Unis.


Jeudi 08 mai
Groupe ‘Nadjib’s manouche Quartet’, Algérie ;
Groupe ‘Boney Fields & the Bone’s Project’, Etats-Unis.


5. Emission télévisée « Qaada »
Mardi 06 mai 2008 (day off).


Thème de l’émission “Qaada” :
Dédié au festival.

6. Conférences

Mercredi 07 mai 2008, à 10h00, Conservatoire Municipal ''Abdelmoumène Bentobal''.

Thème :
« Rencontres de musiques anciennes et contemporaines. »


Intrevenants :
1. Pierre Vaiana.
2. Hichem-Zoheïr Achi.
Débat.

7. Clôture du festival
Vendredi 09 mai 2008.

Cérémonial :
Allocution de clôture officielle du festival : Le Commissaire du Festival.


Concert de clôture :
Groupe ‘Little Magic Sam’, France.

samedi 12 avril 2008

Le projet "Funduq" à Tunis

Rencontres de recherche à Tunis (Sidi Bou-Saïd) du 7 au 11 avril 2008

Pojet « Funduq, héritage, recherches et création »

Newsletter, par Hichem-Zoheïr Achi.


Du 7 au 11 avril 2008 s’est tenue à Tunis (Sidi Bou-Saïd) la deuxième rencontre de recherche sur la thématique du Funduq.

La première avait eu lieu du 25 au 29 Février 2008 à la Faculté de Lettres de l’Université de Palerme. Le projet continuera en mai 2008 lors du MOIS du DIALOGUE INTERCULTUREL et du programme « 1001 ACTIONS POUR LE DIALOGUE » de la Fondation Anna Lindh pour le Dialogue entre les Cultures, à Constantine, par un stage de formation donné par Salvatore Bonafede, Pierre Vaiana et Carlo Rizzo suivi d’une création musicale qui se donnera lors de la 6ème édition du Festival Dima Jazz 2008 appelée « Funduq El Mureniyin » (Le Funduq des Chanteurs).


Le colloque de Tunis a été placé sous :

Direction Scientifique Mourad Sakli, Girolamo Garofalo.

Avec la participation exceptionnelle de M. Mahmoud Guettat.

Coordination générale et interprétariat : Pierre Vaiana, avec l’aide de Daria Settineri.


Déroulement


Lundi 07 avril 2008

Mot de bienvenue par Le Directeur du CMAM.

Présentation du projet « Funduq » : Pierre Vaïana.

Introduction générale par le Pr. Mahmoud Guettat : Liens et interactions culturelles entre les deux rives de la Méditerranée


1. Colloque


07 et 08 avril 2008, Palais Ennejma Ezzahra, Sidi Bou-Saïd.


“Lieux et Espaces de Rencontres Musicales autour de la Méditerranée. ”
Musiques et chants traditionnels entre le Maghreb et la Sicile.


Séance 1 : Histoires communes ; 7 avril matinée ; Président Mahmoud Guettat
1. Daria Settineri : Etre « sicilien » à Tunis, deux générations en confrontation.

2. Saifallah Ben Abderrazzeq : Musique et communauté italienne à Tunis.

3. Angela Ippolito : Le retour malheureux, histoires des migrants de la Tunisie à la Sicile.

Débat.


Séance 2 : Liens et musiques ; 7 avril après-midi ; Président Girolamo Garofalo.
4. Sergio Bonanzinga : Traditions musicales en Sicile, formes, espaces, fonctions.

5. Mourad Siala : La zaouia, espace de pratique musicale.

6. Hichem-Zoheïr Achi : Le funduq à Constantine, lieu de pratiques musicales.L'exemple de Diwan Boukhalfa ou la confrérie des zdjoul.

7. Faïka Béjaoui : Foundouk de la Médina de Tunis.Débat.


Séance3 : Liens et musiques ; 8 avril matinée ; Président Hichem-Zoheïr Achi.
8. Giuseppe Giordano : Musique traditionnelle et les espaces du rite en Sicile.

9. Girolamo Garofalo : La grammaire musicale des chants de charretiers siciliens, de la structure profonde à l’ornementation mélismatique.

10. Giuseppina Colicci : Les chants des pêcheurs de thon en Sicile.

11. Cinzia Garofalo : Les Funduqs de la Province de Palerme, un premier inventaire.

Débat et clôture.







2. Concert


Mardi 08 avril 2008 à 20h00, Palais Ennejma Ezzahra.

Musiciens :
Gera Bertolone (voix et azzarinu) ;
Vincenzo Castellana (friscalettu et tambours sur cadre) ;
Oriana Civile (voix) ;
Barbara Crescimanno (voix, tambours sur cadre et danse) ;
Simona Ferrigno (voix, tambours sur cadre et danse) ;
Carmelo Graceffa (tambours sur cadre) ;
Giuseppe Giordano (voix et chitarra) ;
Mario Incudine (voix, mandolino et mandoloncello) ;
Emanuela Lodato (voix, tambours sur cadre et danse) ;
Michele Piccione (ciaramedda a paru, tambours sur cadre, marranzanu) ;
Francesco Piras (voix et guitare) ;
Daniele Prestigiacomo (voix et guitare) ;
Veronica Racito (voix, tambours sur cadre et danse) ;
Sebastiano Zizzo (violon).

Invités :
Said Benmsafer (oud et voix récitante),
Mario Crispi (duduk et flûte) ;
Giovanni Di Salvo (voix).

Décor visuel :
« Les images de la musique traditionnelle sicilienne : les lieux, les visages, les objets.», par Corrado Salemi.
Direction artistique : Girolamo Garofalo.Coordination artistique : Barbara Crescimanno et Giuseppe Giordano. Coordination de l’organisation : Daria Settineri.

3. Le Stage et la Rencontre musicale
Du 09 au 11 avril 2008.Concert de restitution le vendredi 11.

Participants :
- Les étudiants et musiciens du Laboratoire d’Ethnomusicologie de la Faculté de Lettres et Philosophie de l’Université de Palerme (Italie) ;
- les étudiants de l’Ecole de Jazz du CMAM.

Direction pédagogique :
- Fawzi Chekili, coordinateur tunisien.
- Pierre Vaiana , coordinateur belge.




samedi 22 mars 2008

La déperdition qualitative de la musique andalouse (suite et fin)

Partie 2/2 : Catalyseurs et propositions

Par Hichem Zoheïr ACHI.

Quelques catalyseurs de cette forme de déperdition qualitative


1. L’absence de référence et la multiplication de référents

1.1. La raréfaction des maîtres.
Tout légitime qu’il soit, le débat sur la dénomination « cheikh » ou « maître » n’est pas le propos. Je ne vais donc pas polémiquer maintenant en en attitrant tel musicien ou tel autre. Par ailleurs, le devoir de vérité m’oblige à dire qu’aujourd’hui certains « jeunes » musiciens possèdent les qualités nécessaires pour mériter le titre de cheikh. Plus haut la main que beaucoup de leurs aînés.
D’autres, plus nombreux, ont un répertoire plus ou moins étendu mais peuvent difficilement jouer une pièce en respectant sa mélodie originelle, avec toute la relativité qu’imposent les limites de la mémoire humaine. Difficulté due au fait que leurs sources sont généralement des enregistrements à caractère commercial, peu soucieux d’une quelconque authenticité. Les anciens maîtres avaient de remarquable que, même s’ils ne pouvaient pas expliquer le pourquoi, ils se rappelaient le comment et le transmettaient, à peu près, tel quel…
C’est de la raréfaction de ce type de maîtres que je parle.

1.2. L’essoufflement des méthodes traditionnelles de transmission.
La pratique autonome de la musique andalouse, c’est-à-dire celle qui est le premier pas vers la maîtrise, requiert au préalable une ascèse basée sur l’écoute puis la pratique chorale (khmâssa) et instrumentale. Croire que la seule discographie des quarante dernières années, qui ne puise dans le répertoire classique qu’avec parcimonie, peut dispenser des autres formes d’enseignement est une erreur. Le maître, ou l’enseignant, a de plus que les supports audio, qu’il sait quand s’arrêter pour rectifier les inévitables erreurs des débutants. Par ailleurs, il est toujours plus facile pour un musicien d’apprendre une pièce qu’il ne connaissait pas que d’en corriger une qu’il a apprise sur de fausses bases.
Nonobstant, la disponibilité à la consommation d’autres formes musicales étrangères (sans connotation xénophobe) ainsi que la banalisation des emprunts multiformes que leurs font nos musiciens, donnent à croire que la pédagogie des méthodes traditionnelles de transmission n’est plus à même de répondre efficacement aux défis auxquels est confronté ce patrimoine musical.

1.3. La déconstruction des structures musicales des khouân.
Parmi les raisons de cette déconstruction, la non transmission intergénérationnelle des répertoires musicaux, mélodiques en l’occurrence [14], comme il en a été pour la zaouïa Hansâla qui a eu pour qassâd (répétiteur, chanteur) cheikh Ahmed Bestandji (1875-1946) de 1926 à sa mort. Un des plus grands maîtres âla, au sens de détenteur, dont se souviennent les musiciens de Constantine. Cette zaouïa qui possédait le répertoire le plus volumineux a fini par « fermer ses portes ». Egalement la délocalisation des cheikhs ou la démonopolisation musicale forcée de la zaouïa par la prolifération d’orchestres se réclamant trop vite de la confrérie. C’est le cas de Aïssaoua. S’ajoutent à cela des raisons d’ordre structurel ou relevant de la philosophie et de la mystique, du moins dans l’interprétation des choses. Pour exemple, certains khouân soutiennent, dans un mea culpa fataliste, que la délocalisation de cheikhs ou la tombée en désuétude de certaines zaouïas est à considérer comme une sorte de punition divine suite à leur déviation de leur voie principale…

2. Les manipulations simplistes

Quelques exemples :

2.1. Les enregistrements entrepris par le ministère algérien de la culture en partenariat avec l’ONDA (Office National des Droits d’Auteurs et droits connexes)
à la fin des années 1990, dans un but de sauvegarde, ont été mal préparés par les orchestres constantinois. L’introduction à tous vents de pièces étrangères dans le répertoire malouf a fait en sorte que certaines noubas enregistrées comptaient pas moins de cinq toubou’ distincts ne s’accommodant pas les uns des autres. Sans parler des mesures incomplètes non rattrapées et des cassures rythmiques assez fréquentes.

A noter qu’à ce stade de la conservation, le mélange de toubou’ dans une même nouba n’est pas le plus grave. Les pièces pouvant ultérieurement être identifiées puis replacées là où elles doivent l’être. Ce qui est, par contre, grave et dangereux, c’est d’enregistrer pour la postérité des pièces censées être traditionnelles en opérant dessus toute sorte de « manipulations » mélodiques et rythmiques. Manipulations souvent décidées ad hoc, pour contourner, par exemple, une transition difficile d’une mesure à une autre.

2.2. Cheikh Abdelkader Toumi Siaf (1906-2005)
dont j’ai reçu un enseignement que je ne renie pas, et dont le répertoire était quasi incommensurable, encourageait l’emprunt de pièces au répertoire san’a d’Alger. Des pièces dont les équivalentes typiquement constantinoises existent souvent dans le répertoire malouf et que le cheikh connaissait parfaitement. Preuve en est que, dans beaucoup de cas, c’est lui-même qui me les avait enseignées ou divulguées. Pour ses détracteurs, ce n’était rien d’autre que de l’aliénation. Pour ma part, sans aller jusque là, c’était un sujet sur lequel je ne le rejoignais pas. Les avis de ses principaux autres disciples sont, eux, mitigés sur ce sujet mais bon nombre d’entre eux ont continué sur cette course à l’emprunt.

2.3. Cheikh Kaddour Darsouni
-de son vrai prénom Mohamed- (1927-), bien qu’il soit considéré comme l’un des derniers grands conservateurs et surtout transmetteur de la nouba telle qu’il l’a apprise auprès de ses maîtres, a repris dans son recueil [15] ces idées pour le remplacement des pièces manquantes du répertoire de Constantine. Cas parmi d’autres, l’emprunt à la nouba hsin d’Alger du dardj de mesure 4/4 « al wardou yaftah fil khoudoud » et son intégration à la nouba hsin saba en transformant sa mesure en 8/8 [16]. Nouba malouf qui n’en a nul besoin vu sa richesse en drâdj constantinois de même mesure.

Autre exemple, la transformation de quelques enqlâbâte [17] de mesure 2/4 ou 4/8 en msaddrâte de mesure 16/8 avec tout ce que cela entraîne comme élongation de phrases musicales composées pour être jouées sur un tempo pouvant difficilement permettre la profusion mélodique. Il se peut que l’idée de l’emprunt soit défendable, il n’en demeure pas moins que ce genre d’actions risque, à la longue, de fusionner les trois Ecoles algériennes de musique andalouse et, par conséquent, d’appauvrir le répertoire musical andalou algérien en restreignant sa diversité.

3. L’inadaptation des lieux de pratique musicale

Si la révolution industrielle a scindé la journée en « temps de travail » et « temps de loisir », l’on se doute bien que les musiciens constantinois de l’époque ne s’en soient pas vraiment formalisés, la conjoncture aidant. La pratique musicale a quand même fini, peu après l’indépendance, par se réduire a des formes très simples, voire secondaires, comme au sein des associations musicales. La disparition de lieux de pratique musicale abondante comme les m’hâl et les f’nâdaq [18], autrefois cénacles de confrontation des répertoires et pépinières de maîtres, a laissé un vide qui n’a pas encore de palliatif.

Aujourd’hui la plupart des sociétés musicales tiennent leurs séances pratiques dans les centres culturels et autres maisons de jeunes où le volume horaire qui leur est alloué (quatre heures par semaine en moyenne et en fin d’après-midi) reste insignifiant au regard de l’importance quantitative du répertoire à visiter ou à revisiter.

Quelques propositions

a. Colloques et symposiums
Thématiques par souci d’efficacité, indépendamment de ce qui se déroule habituellement « en marge » des festivals. Puisqu’il a été question de rythmes, les symposiums auront notamment à trancher sur la question des anomalies et des incongruités rythmiques présentes dans les trois Ecoles.

Il faudra aussi associer à ces programmes d’études des historiens et ethnomusicologues médiévistes. Les influences réciproques de la musique andalouse et de la musique médiévale sont très mal connues et je suis persuadé que la confrontation des deux permettra de comprendre beaucoup de choses qui nous échappent encore.

b. Ateliers de formation continue et master classes à destination des formateurs
Une des tâches les plus compliquées à mener. La susceptibilité des formateurs autoproclamés maîtres à tort ou à raison, rajoute à la complication. Il faudra quand même le faire. Du moins le tenter.

L’enseignement des rudiments de la musique andalouse à l’école publique a, quant à lui, fort heureusement trouvé écho auprès de l’actuel gouvernement.

c. La transcription du répertoire est-elle vitale ?
Bien sûr que non. Cela dit, le sujet a déjà beaucoup fait parler et cela va certainement durer quelque temps. Tant mieux car la transition d’une oralité plus que millénaire à un écrit qui, visiblement, ne possède pas encore tous les outils d’une destitution à son profit, ne peut pas se faire en quelques années seulement. Le risque est trop grand de commettre des erreurs irréparables. Je reste quand même optimiste quant à l’issue de cette phase de transition à condition, toutefois, que le débat prévale sur la polémique.

Personnellement, je n’ai jamais parlé de transcrire pour transmettre en tuant l’esprit d’improvisation, essence même de la musique andalouse, mais pour éviter l’altération et le travestissement de ses mélodies et de ses rythmes et également pour élargir le cercle de sa consommation à d’autres peuples [19]. Car j’ai l’impression, loin de toute nostalgie paralysante, qu’avec notre génération, quelque chose est en train de se terminer…

Ce quelque chose pourrait être la pureté des écoutes ou l’absence de « pollution auditive ».

Idéalement, il faudrait tout juste une transcription de squelettes, de bribes. Je crois même que cela est impérativement à limiter de la sorte. Tout aussi nécessairement, l’éveil et l’apprentissage musicaux des enfants doivent être procédés oralement durant les premières années afin de développer chez eux ce fameux esprit d’improvisation.

J’avais appelé l’ensemble de ces squelettes une « matrice » [20] à cause de leurs caractéristiques intrinsèques favorables au développement et à l’enrichissement durant le jeu musical, bien que ceux-ci soient traditionnellement codifiés sans être figés. Pragmatiquement, cette transcription pourrait se faire en adoptant les systèmes dits universels mais en les adaptant à nos besoins. D’autres systèmes de transcription ou de codification sont également envisageables.

d. La composition de nouvelles pièces, de nouveaux genres.
Des tentatives ont déjà vu le jour çà et là. A ceux qui s’y opposent en prétextant que les nouvelles pièces composées ne pourront jamais avoir la même consonance que les anciennes, je réponds qu’il serait totalement absurde d’attendre d’un compositeur contemporain qu’il fasse exactement la même chose que ses homologues d’il y a plusieurs siècles.

De toutes les manières, le contexte, qui influe inexorablement sur la composition, étant tout à fait différent, l’on ne pourrait pas composer ces mêmes « choses » combien même on le voudrait. Néanmoins, il nous appartiendra de décider si ces nouvelles musiques pourront s’appeler « malouf » ou s’il faudra les désigner par des néologismes.

e. Faut-il une nouvelle institution publique ?
Je ne le crois pas. Il faudrait plutôt une sorte de cellule de réflexion mais aussi d’action qui pourrait être ultérieurement élargie. L’explicitation de ses objectifs et de ses outils est fondamentale. Un minimum de background culturel est également requis de ses membres afin d’éviter les erreurs du passé où l’on aura vu des institutions consultatives locales se prendre pour un comité de fêtes en se bornant à organiser des galas, faute de n’avoir rien de mieux à proposer.

Cette cellule aura à penser puis à proposer une méthodologie pratique pour poser les jalons d’un repositionnement de la musique andalouse dans les champs culturels algérien, maghrébin et méditerranéen. D’aucuns diront que des actions sont actuellement entreprises par le gouvernement. Oui, mais parce que insuffisamment concertées, ces actions sont assez ambiguës. Les objectifs manquent de clarté en ce sens qu’ils ne s’inscrivent pas dans une vision à long terme pour une efficience durable dans le temps. Spatialement, elles se limitent à l‘Algérie alors qu’elles devraient être beaucoup plus étendues. Ma vision de cette entreprise sera exposée aux lecteurs dans un article à part.

Conclusion

Par le fait de l’absence ou de la rareté d’expressions musicales concurrentes dans le passé, la musique andalouse a bénéficié d’une période de répit qui aura permis, à défaut de la valoriser, de faire sommairement le point sur l’état des lieux. La déperdition de ses repères mélodiques et rythmiques, donc de sa qualité, a pris de l’ampleur avec la démocratisation des moyens de diffusion et d’écoute. Avec les effets attendus négatifs qu’entraînera la mondialisation sous ses formes nouvelles, le déferlement de musiques exogènes notamment, elle va probablement s’accélérer et, si rien n’est entrepris, il faudra s’attendre à ce qu’il y ait de moins en moins de musiciens capables d’exécuter le répertoire en respectant les rythmes ou d’interpréter explicitement les toubou’ faute de savoir les différencier. Cela a déjà commencé et peut se remarquer aisément en écoutant les soli instrumentaux non rythmés (istikhbârâte) des instrumentistes constantinois dont l’orientalisation est évidente.

Situation préoccupante mais pas désespérée. Je sais pertinemment qu’une pièce que nous écoutons aujourd’hui n’est pas nécessairement en tous points identique à ce qu’elle était du temps de sa composition, il est même presque certain qu’elle ne le soit pas. L’innovation n’est pas mauvaise en soi lorsqu’elle est la manifestation d’une naturelle évolution. Il est à déplorer, cependant, que cela se passe de nos jours un peu trop vite et sans laisser à la musique le temps de continuer à mûrir. Les innovations actuelles ont lieu dans un esprit d’appauvrissement et non d’enrichissement. Nos musiciens ne devraient pas toujours rechercher la facilité avant toute autre chose. Au-delà de la mission dont ils se sont tacitement investis en versant dans ce patrimoine, ils devraient garder à l’esprit que cette musique est savante et que les choses savantes sont toujours complexes.

Notes et références

[14] Ce sont, bien sûr, les mélodies qui sont le plus concernées par la déperdition. Les textes poétiques, chantés ou non, nous sont parvenus grâce aux recueils (sfîna, plur. sfâyen, litt. barque, bâteau) légués par les musiciens de Constantine. La justesse terminologique, linguistique et métrique de ces textes est plus ou moins fiable selon leurs rédacteurs.

[15] DARSOUNI, Kaddour. « Recueil des poèmes de la musique andalouse. Malouf de Constantine », Ouvrage édité à compte d’auteur, Constantine, 2005.

[16] DARSOUNI, Kaddour. Op. cit., p. 45.

[17] Enqlâbâte (sing. enqlâb, litt. renversement) : pièces non incluses dans la nouba classique, regroupées en « noubas des enqlâbâte » ou en suites nommées « snîslât », litt. chaînettes.

[18] Mhâl et fnâdeq, plur. de mhal (litt. boutique) et de foundouq (litt. auberge, caravansérail).

[19] cf. ACHI, Hichem Zoheïr. « Pour une transcription non limitative de la musique classique algérienne. Approche d’une chronologie de mise au point d’un système de notation musicale adapté. », Journées d’Etudes de Tipaza, Tipaza, 6 avril 2006.

[20] cf. ACHI, Hichem Zoheïr. « L’Ecole de Constantine, naissance et évolution. », Semaine portes ouvertes sur Constantine, Constantine, 10 avril 1996.

samedi 15 mars 2008

Le projet « Funduq : héritage, recherches et création »

Le projet « Funduq : héritage, recherches et création »
L'héritage du Funduq comme élément fondateur d'une culture euro-méditerranéene basée sur la rencontre et l'échange.

Le projet Funduq, Héritage, Recherche et Création est mené par Talia asbl, une association sans but lucratif basée à Corroy-le-Château (Belgique). Ses partenaires sont le Département d’Ethnomusicologie AGLAIA de l'Université de Palerme (Sicile), le Centre des Musiques Arabes et Méditerranéennes (CMAM) à Sidi Bou Saïd (Tunisie) et l'association Limma à Constantine (Algérie). Il bénéficie du soutien de la Fondation Euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le Dialogue entre les Cultures. Vous pouvez visiter le blog du projet funduq sur :
http://funduq.skynetblogs.be/


Initiative
L’initiative est venue simultanément de feu Mohamed Aziz Djemmam, membre fondateur du groupe de jazz Sinouj et de Pierre Vaiana, musicien, enseignant et compositeur de jazz.

Petite étymologie
Plongeant ses racines dans l'antiquité, le terme « funduq » a évolué du grec pandocheion (la maison où tout le monde est accueilli) vers le latin fundicum, puis l'arabe funduq, l'espagnol alhondigo, et enfin fondaco en italien (Source : http://funduq.skynetblogs.be/).

Le projet « Funduq, héritage, recherches et création » se décline en plusieurs volets :
a. La recherche scientifique (le Funduq, les traditions de chants nomades autour de la Méditerranée) ;
b. La formation (organisation de stages destinés aux jeunes) ;
c. La création (un spectacle créé à la suite de résidences à Tunis et à Constantine).


1. Du 4 au 8 novembre 2007 ont eu lieu, à Tunis, le premier stage et la première création du projet FUNDUQ
Y ont participé :


Pierre Vaiana sax soprano, direction artistique, (Belgique) ; Carlo Rizzo, tamburelli (Italie/France) ; Salvatore Bonafede, piano (Italie) ; Hafid Abdelaziz, batterie (Algérie) ; Nadjib Gamoura, basse (Algérie) ;- Foued Rafrafi, oud, (Tunisie) ; Nawfel Ben Mehrez, violon, (Tunisie).

2. Stage musical à Palerme (Sicile, Italie) du 21 au 25 janvier 2008
Coordonné par l’ethnomusicologue Girolamo Garofalo du Département “Studi Greci, Latini e Musicali “Aglaia”” de Université de Palerme.

Avec : Pierre Vaiana sax soprano, direction artistique, (Belgique) ; Carlo Rizzo, tamburelli (Italie/France) ; Salvatore Bonafede, piano (Italie).

3. Journées d’études, rencontre de recherche à à Palerme (Sicile, Italie) du 25 au 29 février 2008.
Organisées par le Département d’Ethnomusicologie AGLAIA de l’Université de Palerme (Italie) avec la contribution de la Faculté de Lettres et de Philosophie de Palerme.
Sous la direction de Girolamo Garofalo et Pierre Vaiana.

Avec : Mourad Sakli, Directeur du Centre des Musiques Arabes et Méditerranéennes à Tunis ; Hichem Achi, chercheur algérien affilié à l'Association Limma ; les étudiants du “Laboratorio di Etnomusicologia” de la Faculté des Lettres de Palerme.

Thème : "Les voies du chant entre Orient et Occident : son, espace et mouvement "
a. Les chants du FUNNACU sicilien, la tradition des chants de charretiers (avec exemples sonores enregistrés).
b. Rencontre à Bagheria avec les chanteurs charretiers (l’auteur de ce blog y a été invité à prendre part à la joute en improvisant sur un mode qu’il a choisi proche de celui prisé par les charretiers : le tab’ constantinois « saïka »).
c. "Les voies du chant en Sicile" (avec exemples sonores exécutés en direct par les étudiants du “Laboratorio di Etnomusicologia”.
d. Les chants des nomades (bédouins) monde arabe, par Mourad Sakli, présentation avec exemples enregistrés.
e. L’improvisation instrumentale simultanée dans le malouf de Constantine, par Hichem Achi. Précédée d’une projection d’initiation aux caractéristiques techniques du malouf du même auteur.
f. Le Funduq à travers la Méditerranée par Pierre Vaiana.

Interventions de :
Hichem Achi, Pino Aiello, Antonella Balsano, Angela Bellia, Sergio Bonanzinga, Paolo Emilio Carapezza, Giuseppina Colicci, Giuseppe Collisani, Mario Crispi, Giovanni Di Salvo, Mario Friscia, Girolamo Garofalo, Consuelo Giglio, Giuseppe Giordano, Enzo Guarrasi, Elsa Guggino, Mahmoud Guettat, Nuccia Maugeri, Pietro Misuraca, Papàs Jani Pecoraro, Gaetano Pennino, Rosario Perricone, Michele Piccione, Mourad Sakli, Corrado Salemi, Marco Spagnolo, Anna Tedesco, Pierre Vaiana, Giulia Viani.

Programme détaillé : voir 2ème affiche (Programma).






4. Présentation lors de la semaine de Musique Contemporaine "Hedendaagse Muziek" à l'Université Hoogent à Gand (Belgique)
- du projet FUNDUQ, HERITAGE, RECHERCHE ET CREATION ;
- concert du groupe Al Funduq le 4 mars 2008.

5. Journées d’études, rencontre de recherche à Tunis au Centre des Musiques Arabes et Méditerranéennes du 7 au 11 avril 2008 (programme à définir).
Sous la direction de Mourad Sakli, Directeur du Centre et Pierre Vaiana.

Avec : Hichem Achi ; les étudiants de l'Institut Aglaia et Girolamo Garofalo ; des chercheurs tunisiens.

- Le 8/4/08 concert du “Laboratorio di Etnomusicologia” de la Faculté des Lettres de Palerme au Palais Ennejma Ezzahra.

6. Stage Musical à Constantine, association Limma, fin avril 2008
Dirigé par : Pierre Vaiana sax soprano, direction artistique, (Belgique) ; Salvatore Bonafede, piano (Italie).

7. Résidence et création à Constantine, association Limma, Festival Dima Jazz, début mai 2008
Avec : Pierre Vaiana sax soprano, direction artistique, (Belgique) ; Carlo Rizzo, tamburelli (Italie/France) ; Salvatore Bonafede, piano (Italie) ; Hafid Abdelaziz, batterie (Algérie) ; Nadjib Gamoura, bass (Algérie) ; Foued Rafrafi, oud, (Tunisie) ; Nawfel Ben Mehrez, violon, (Tunisie) ; Giovanni Di Salvo, chant, (Italie) ; à préciser, (Italie).

Cette création fera l'objet d'un enregistrement d'un CD. Cette création s'inscrira dans le cadre de l'action "1001 Actions pour le Dialogue".Pour en connaître plus sur cette action visitez le site : http://www.1001actions.org/



« 1001 Actions pour le Dialogue » est une campagne internationale majeure qui entend créer une mobilisation massive de gens et d’actions à travers 37 pays, centrée entièrement sur l’objectif de connaître « l’autre ».

jeudi 6 mars 2008

La déperdition qualitative de la musique andalouse

L’exemple du dardj de mesure 12/8 dans la nouba malouf à Constantine

Partie 1/2

Par Hichem Zoheïr ACHI.

Le constat
Je m’adresse aux musiciens constantinois et même d’ailleurs, pour une nouvelle démystification.
J’attire leur attention sur le fait que la mesure de plus en plus usitée du dardj [1], à savoir 3/4, est étrangère à la nouba de l’Ecole traditionnelle de Constantine.

L’on pourrait penser le contraire en se référant à certains khouân [2] qui compteraient cette mesure parmi celles de leurs répertoires, eux qui passent pour être les gardiens de la fidélité aux répertoires originels, et chez qui l’on peut entendre la qsida [3] « Â mouslimîn tâb al mouqâm » sur les airs d’une pièce en tab’ dheïl [4] (ou même en maqam nahawend) [5] et en mesure 3/4.

Certains orchestres constantinois âla exécutent, par méconnaissance, des drâdj du répertoire malouf sur la mesure 3/4. Cela a été le cas avec le dardj de tab’ mezmoum « Hasbouki-llâhou ‘annî yâ sâ’at al firâq » lors du 1er Festival Culturel National du Malouf (Constantine, du 04 au 11 juillet 2007).
Pire, le 1er Festival Culturel International du Malouf (Skikda, du 20 au 27 juillet 2007) consacre cet amalgame dans le fascicule [6] édité et diffusé à cette occasion : la mesure 3/4 y est présentée comme l’une des mesures traditionnelles du dardj dans la nouba malouf [7] à Constantine…

La genèse de l’erreur
En fait, cette mesure a été introduite par des orchestres âla [8] à des fins de variation et d’innovation passagères lors de certains enregistrements comme celui de Mohamed Benamara plus connu sous le nom de M’hamed El Kourd (1895-1951) de Annaba qui enregistra en 1934 « Billâh yâ hamâmi » [9], une pièce de mesure 3/4 en maqam nahawend et en s’accompagnant au piano. M’hamed El Kourd, qui a été fortement imprégné des musiques orientales suite à ses multiples séjours en orient, en particulier en Turquie et au Kurdistan auquel il doit son surnom [10], a également interprété le dardj « Bou’d eddiâr zâdni ichtiâq » de la nouba zaïdane en mesure 3/4 au lieu de celle originelle en 5/8.

De même, lors de certains concerts comme celui donné par l’orchestre de cheikh Raymond Leyris (1912-1961) à l’occasion de La fête de la police en 1954 à l’Université Populaire de Constantine [11] et durant lequel il a interprété « Hasbouki-llâhou ‘annî », dardj précédemment cité, en mesure 3/4.
A souligner tout de même, et c’est le détail qui rend ce genre d’expérience tout à fait acceptable, qu’il ne s’agissait pas d’exécution de nouba au sens académique ou traditionnel. Nul ne pourrait remettre en cause la maîtrise de la nouba par ce talentueux artiste [12].

Quant à la mélodie en tab’ dheïl de la qsîda « A mouslimîn tâb al mouqâm » et de mesure 3/4, c’est, à l’origine, un air de janissaires dont les paroles en version arabisée commencent par « Soultânounâ Abdoulhamîd » (litt. notre sultan Abdoulhamid). Il s’agit probablement de Abdoulhamid Ier (1725-1789), sultan ottoman de 1774 à 1789 [13]. On pourrait être tenté de se référer à cela pour essayer de dater l’introduction du rythme correspondant à cette mesure 3/4 à Constantine.
Finalement, cela nous oriente vers la période se situant entre 1725 et 1789 mais cela aurait pu avoir lieu avant et même bien après ces deux dates...

De plus, la mélodie en question n’appartient pas aux répertoires confrériques « classiques » et n’est généralement interprétée qu’en des occasions (mwâssem) bien précises. Les orchestres âla de Constantine l’ont également adoptée en lui superposant les paroles « Djamâlouhou lâ youssafou » sans pour autant l’intégrer à la nouba.

Jusque là, point de quoi s’alarmer. Mais aujourd’hui les choses s’accélèrent et l’amalgame est bien là puisque non seulement l’on croit, à tort, que la mesure de ce dardj est 3/4 au lieu de 12/8 mais, qu’en plus, on le diffuse au grand public ainsi qu’aux musiciens étrangers.

Le correctif
Il faut savoir que le dardj est le 3ème mouvement mesuré et chanté de la nouba qui en compte cinq. Je parle de cinq mouvements mesurés et chantés car la nouba comprend aussi d’autres types de pièces vocales ou instrumentales. Ces cinq mouvements sont :

1. msaddar ;
2. btâyhi ;
3. dardj ;
4. ensrâf ;
5. khlâs.

La position médiane du dardj en fait un mouvement charnière qui assure la transition entre les mouvements lents (msaddar et btâyhi) et les mouvements vifs (ensrâf et khlâs). Selon sa phase, il a trois mesures possibles :

a. Dardj thaqîl (litt. lent) : 8/8.
b. Dardj wast (litt. médian) : 5/8.
c. Dardj khafîf (litt. vif) : 12/8.

Ce dernier est précisément celui dont il est question.
Sa mesure traditionnelle étant 12/8, son rythme est le suivant (fig. 1) :

Remarques importantes
Dans les schématisations qui suivent, la représentation par croches a été volontairement évitée pour simplifier la compréhension aux musiciens ne maîtrisant pas la notation musicale dite universelle.

Afin de ne pas détourner du sujet principal, la comparaison entre les deux rythmes simplifiera les unités de temps en unités égales pour les trois premiers points. Du point de vue de la pratique, cela est chronométriquement faux et la question de cette imparfaite égalité des unités de temps ne sera pas abordée ici.






Il en existe des variantes qui changent sensiblement le nombre et l’emplacement des temps dits faibles au profit ou au détriment des silences mais sans jamais toucher aux temps forts.
La plus usitée est celle-ci (fig. 2) :


Chaque variante est, à son tour, sujette à plusieurs développements possibles selon les régions du constantinois, voire selon la technique de jeu et d’interprétation.

On remarque à partir de ces rythmes que cette mesure binaire de 12/8, à la différence de celle de 3/4, est sécable (pour ne prendre qu’une des forme les plus simples) en 2 + 4 + 6 temps.

De là, apparaît clairement que les phrases musicales des pièces composées sur cette mesure peuvent elles-mêmes être compartimentées en 2 ou 3 phrases mélodiques distinctes. Dans la pratique il n’y en a généralement que 2.

Ce qui fait que l’ensemble des phrases musicales des deux hémistiches est monté en 6 + 6 temps.

Qu’est-ce que cela change que ce soit 3/4 au lieu de 12/8 ?
Sur la structure mélodique et le jeu instrumental, beaucoup de choses.
Prenons comme exemple la pièce citée plus haut : le dardj 12/8 de tab’ mezmoum « Hasbouki-llâhou ‘annî ». La relation du mètre poétique à la mesure et au rythme n’étant plus à démontrer, intéressons nous alors un peu aux chamboulements en question.

Mélodiquement, en substituant la mesure 3/4 à la mesure traditionnelle 12/8, il résulte ce qui suit :

1. La mélodie (san’a) est continue là où elle ne devrait pas l’être.
Du fait de cette substitution de mesure et de rythme, la fin de chaque hémistiche devient mélodiquement collée au début du second.
Altération mélodique et remplissage incontrôlé des temps originels de silence mélodique.
Avec la mesure 12/8 l’alternance entre mélodie et silence rythmique et mélodique instaure une dualité équilibrée entre plein et vide. Avec la mesure 3/4 cette alternance disparaît.

2. La suggestion rythmique de la mesure est bouleversée.
La suggestion rythmique sur l’auditoire est également bouleversée puisque le sentiment esthétique est tout à fait différent. Ceci est dû essentiellement à la non superposition des temps forts des deux mesures (fig. 3).


3. Le jeu instrumental en est directement affecté.
C’est chez les violonistes (altistes pour la plupart) que cela se remarque le plus facilement. Et la tendance observée en jouant le dardj de mesure 12/8 sur la mesure 3/4 est qu’ils inversent régulièrement le sens de la course de l’archet sur les cordes pour souligner, continuellement et d’un jeu relativement saccadé, les trois temps de la mesure.

Et puis n’oublions pas, pour clore cette première partie, que l’authenticité est aussi respect de la composition telle qu’elle a été voulue par le compositeur.

A suivre…


Notes et références
[1] Dardj (plur. drâdj) : 3ème mouvement de la nouba comportant lui-même trois phases avec trois mesures distinctes.

[2] Les khouân (litt. frères) sont les membres des confréries religieuses.

[3] Qsida (plur. qsâyed) : texte poétique du répertoire confrérique pouvant avoir plusieurs thèmes religieux ou mystiques, à la différence de la « medha » qui est le plus souvent panégyrique ou hagiographique.

[4] Le concept de tab’ (plur. toubou’, tubu’ ou tbou’) est sensiblement différent de celui de maqam bien que ce dernier n’ait pas toujours été réduit à une simple échelle musicale ou modale. Le dheïl est l’un des toubou’ de la musique andalouse. Il est présent, à quelques différences près mais sous cette appellation, dans tout le Maghreb arabe.

[5] Je parle de nahawend et non pas de rahâwi car le tab’ rahâwi actuellement joué à Constantine s’apparente plus au maqam arabe oriental qu’au tab’ constantinois. Le véritable tab’ rahâwi, faute d’être identifié, a été oublié par les musiciens.

[6] ZEROUALA, Mohamed Saïd. « Introduction à la Musique Andalouse », fascicule édité à l’occasion du Festival Culturel International du Malouf 2007, p. 9.

[7] La nouba malouf est une nouba composite de mouwashahâte et de azdjâl. Le terme « malouf » voulant lui-même dire « composite » et non pas « habituel » comme cela est soutenu par la plupart des praticiens. cf. ACHI, Hichem Zoheïr. « La dynamique comme postulat pour la musique savante andalou maghrébine », communication in 3ème Forum de la Musique Savante Maghrébine, Constantine, 30 sept. 2004.

[8] Âla : orchestre de musiciens instrumentistes pratiquant un répertoire profane mais intégrant également des pièces d’autres répertoires comme celui des confréries religieuses.

[9] Editions Baidaphone, Paris 1934.

[1O] Une anecdote voudrait que "El Kourd" (litt. nain) était le sobriquet du père de Mohamed Benamara et que ce dernier en aurait hérité.

[11] Du fait de la rareté des enregistrements en public de Raymond Leyris, ce concert a acquis un statut de cas d’école. cf. LEYRIS, Raymond. (1954). « Concert public en 1954 » [CD audio], Collection Anthologie de la musique citadine algérienne, Vol. I à III, Editions Al Sur, 1994.

[12] Raymond Leyris (1912-1961) est considéré par les musiciens constantinois les plus âgés, après Ahmed Bestandji (1875-1946) et Omar Chenoufi dit Chaqleb Esseghir (1897-1946), comme étant le plus grand maître de âla qu’ils aient connu. D’autres maîtres sont également souvent cités comme référence mais dans une catégorie à part du fait qu’ils fussent plus instrumentistes que chanteurs. C’est le cas, entre autres, de Tahar Benkartoussa (1881–1946), de Abderrahmane Karabaghli (1886-1956) et de Mohamed Larbi Belamri (1893-1966).

[13] L’hypothèse selon laquelle il pourrait s’agir de Abdoulhamid II (1842-1918) est peu probable, ce dernier ayant été sultan ottoman de 1876 à 1909, c’est-à-dire à une période où les ottomans avaient déjà été chassés d’Algérie par les français.